GONZÁLEZ IÑÁRRITU ALEJANDRO (1963- )
Chute et rédemption
C’est en Espagne, comme l’avaient fait Cuarón et del Toro, qu’Iñárritu va réaliser un film résolument différent, au scénario linéaire et au style moins flamboyant : Biutiful (2010), qui n’en préserve pas moins une bonne part de ce qui fait l’originalité du cinéaste. Javier Bardem, symbole de la précarité humaine (professionnelle, amoureuse, physique, voire médicale), prolonge ce qu’Iñárritu avait si bien su tirer de ses acteurs mexicains, puis de Benicio del Toro, Sean Penn, Naomi Watts, Gael García Bernal ou Brad Pitt. Qu’il s’agisse d’inconnus ou de stars hollywoodiennes, le metteur en scène les ramène à l’essentiel, à une dimension épidermique et comportementale derrière laquelle il invite le spectateur à débusquer le moral et le philosophique. Ses personnages connaissent tous les stades de la condition humaine, de la misère à l’aisance, de l’abjection à l’élévation, de l’animalité à la transcendance. Bardem quant à lui, en accomplissant un itinéraire unique et solitaire, affronte les mêmes épreuves et aboutit au même point : préserver une étincelle d’humanité face à une obscurité qui menace de l’engloutir.
Après le « nattage » narratif, Iñárritu poursuit dans le choix d’un certain dépouillement. Birdman (2014, oscar du meilleur réalisateur en 2015) souligne, non sans une certaine emphase virtuose, à la fois l’extraordinaire savoir-faire technique du cinéaste et sa fidélité à l’engagement humaniste de ses thèmes : pour cela, Iñárritu a besoin que la « performance » de l’acteur soit à la hauteur de l’épreuve humaine à laquelle il soumet ses personnages. Ici, Michael Keaton, acteur alors en perte de vitesse, interprète le rôle d’un acteur lui-même déchu – le Birdman qu’il incarnait jadis dans la fiction se superposant au Batman que Keaton a par deux fois été sous la direction de Tim Burton. Par là même, il regagne une place prépondérante parmi les acteurs hollywoodiens. The Revenant (2015, oscar du meilleur réalisateur en 2016) creuse le thème grâce à un vertigineux défi esthétique. L’homme y est la plupart du temps seul face à une nature hostile, humaine autant que géographique. C’est paradoxalement un effet de trompe-l’œil, obtenu grâce à une incroyable utilisation du numérique, qui donne au récit son réalisme saisissant : l’attaque de Leonardo DiCaprio par un grizzli, la chute d’un cheval dans un rapide sont devenues des morceaux d’anthologie. Moins spectaculaires, les ruines d’un lieu saint, une forêt filmée comme une église sont sans doute plus significatives de la progression de la pensée d’Iñárritu et de sa capacité de lui donner une forme cinématographique. L’interprétation tient, comme souvent chez le cinéaste, du tour de force. En réaction à une admiration plutôt consensuelle (qui valut à l’interprète l’oscar du meilleur acteur), certains ont affirmé que DiCaprio « ne faisait rien ». Il serait plus exact de dire qu’il « paraît ne rien faire » : car avoir l’air naturel en s’agitant devant un écran bleu ou vert n’est sans doute pas à la portée du premier venu. The Revenant, à sa façon, redéfinit les repères du jeu de l’acteur au cinéma. En même temps, il affirme avec force l’énergie inextinguible, la conviction humaniste d’Iñárritu qui, à chacun de ses films, pourrait être qualifié de « revenant ».
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Écrit par
- Christian VIVIANI
: historien du cinéma, professeur émérite, université de Caen-Normandie, membre du comité de rédaction de la revue
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Média
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