CARPENTIER ALEJO (1904-1980)
Le temps des honneurs et du deuxième cycle romanesque
En 1959, Alejo Carpentier revient à Cuba, après la prise de pouvoir par Fidel Castro. D'importantes fonctions officielles lui sont confiées : la vice-présidence du Conseil national de la culture, la direction des éditions d'État, puis le poste d'attaché culturel à Paris. En 1966, il devient, toujours à l'ambassade de Cuba à Paris, ministre conseiller des Affaires culturelles.
La gloire et le talent d'Alejo Carpentier arrivent à leur apogée. Il excelle, comme écrivain, dans ce mélange envoûtant de fantastique et de légendaire inséré dans l'histoire et la vie quotidienne. El Recurso del método (1974, Le Recours de la méthode) présente un héros extravagant, une sorte d'archétype de toutes les tyrannies : un dictateur latino-américain, luxueusement installé dans le Paris du début du siècle, d'où il se verra arraché pour aller réprimer la révolte dans son pays. Réprimer..., ou plutôt écraser dans le sang et l'horreur. De retour à Paris, le dictateur voit ses amis du beau monde lui tourner le dos : les photos des massacres l'ont précédé. Il retourne dans son pays, vient encore à bout d'une autre rébellion, et reprend en main les rênes du pouvoir. Le carnaval qu'il organise alors tourne au carnage. Une grève générale éclate, fomentée par un mystérieux étudiant, archétype ici encore de tous les révolutionnaires purs et durs. Le premier magistrat finira ses jours entre sa fille et sa fidèle gouvernante. Dans ce roman foisonnant, la peinture de la Belle Époque et de l'explosion de l'art moderne contrastent violemment avec l'exubérante brutalité du Nouveau Monde. Une grande fresque est ainsi brossée, avec une verve entraînante et grinçante, où les valeurs frelatées de l'Europe des années 1900 font écho aux situations et aux personnages d'une Amérique latine au comble du déchaînement : pronunciamientos, imitation servile des modèles européens, rêves avortés de liberté et de justice, culture élitiste et analphabétisme, mauvais goût grandiose et mépris des vertus autochtones, fureur de cosmopolitisme et déséquilibre constant. Pour décrire ce monde halluciné, anticartésien par essence, Le Recours de la méthode se veut le contrepied du Discours du philosophe français : l'utopique, le mythique, le chimérique balayant ici toute logique, toute raison, tout sens commun.
« Je sens, donc je suis. » La maxime que prône le premier magistrat du Recours de la méthode pourrait aussi s'appliquer au riche seigneur mexicain, le héros de Concierto barroco (1974, Concert baroque), somptueuse et musicale évocation de la Venise du xviiie siècle. On y assiste à la création, en 1733, au théâtre Sant'Angelo, de l'opéra de Vivaldi, Montezuma. Les chronologies, les continents, les personnages et les masques, le style et les sonorités, tout cela s'enchevêtre et s'exalte dans un superbe récit aux allures de symphonie baroque.
C'est encore à l'intersection du Nouveau et de l'Ancien Monde que se situe El Arpa y la sombra (1979, La Harpe et l'ombre). Le destin, la passion, les angoisses, les méfaits et la gloire de Christophe Colomb, voilà ce que le romancier s'attache à faire revivre. Reconstruction tumultueuse et contrastée d'une figure historique où les uns veulent voir un saint, les autres un aventurier sordide, aux inconduites notoires. La voix intime du découvreur s'élève au centre du récit : gouailleuse, orgueilleuse, superbe.
Un de ses derniers romans, Consagración de la primavera (1980, La Danse sacrale), s'attache à évoquer l'histoire depuis la guerre civile espagnole jusqu'à l'invasion de la baie des Cochons par les Américains.
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Écrit par
- Bernard SESÉ : professeur émérite des Universités, membre correspondant de la Real Academia Española
Classification
Média
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