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RODTCHENKO ALEXANDER MIKHAÏLOVITCH (1891-1955)

La photographie

Mais fidèle jusqu'alors à l'esprit du constructivisme, Rodtchenko crée ses photomontages à partir de photographies trouvées, dont il n'assume pas la prise de vue. Ce n'est qu'en 1924 qu'il expérimente, pour les besoins de la cause bolchevique, les multiples potentialités formelles de l'expression photographique proprement dite. Il déséquilibre l'image, qui perd ainsi sa cohérence visuelle et devient le lieu d'un discours destiné à éveiller la conscience des masses. La photographie n'entretient plus avec le réel sa relation mimétique première, elle lui donne un sens. La perte d'horizontalité, qui annule les effets de profondeur, et la pratique systématique de la plongée et de la contre-plongée contraint le spectateur à définir un rapport nouveau à l'image, à l'art, au monde. Cette photographie de propagande, à l'antipode de la théorie de « l'art pour l'art », allait pourtant libérer une série d'effets plastiques tout à fait particuliers. L'esthétique de la ligne, qui définit le travail antérieur de Rodtchenko, est également constitutive de l'œuvre photographique. Échelles, cordages de bâtiments, cheminées d'usine, marches d'escaliers, antennes de radio, plaques de rotative : tous ces ensembles de lignes, toujours saisis sous un angle original (plongées, contre-plongées, prises de vue obliques) structurent à l'intérieur du cadre un espace nouveau et intrinsèque. Libérée de ses modèles picturaux, la photographie devient un art.

On doit en outre à Rodtchenko une série de très beaux portraits de personnalités du monde artistique, entre autres de Maïakovski, de la cinéaste Esther Choub ou du poète Nicolaï Assaïev, qui se démarquent par l'intelligence de la lumière, l'originalité de la pose, du cadrage ou de l'angle de vue.

Malheureusement, dès 1928, les artistes traditionalistes, qui reprirent en main l'organisation de la culture, reprochèrent à Rodtchenko une conception « formaliste, esthétique, imitative de l'Occident », inaccessible aux gens du peuple auxquels il prétendait s'adresser. Ses photographies vont progressivement se banaliser : le choix des sujets sera soumis aux autorités : sport, cirque, défilés militaires, édification de l'Union soviétique. En 1929, l'avant-garde russe, définitivement condamnée, trouvera pourtant sa place lors de la célèbre manifestation Film und Foto, organisée à Stuttgart par le Deutscher Werkbund : plus de mille titres seront réunis ; Rodtchenko y participera aux côtés d'artistes tels que El Lissitzky, Moholy-Nagy ou Renger-Patzsch. Cette exposition est apparue comme la véritable consécration d'une nouvelle manière d'aborder le monde et l'art. Il faudra néanmoins attendre la fin des années 1970 pour que l'œuvre de Rodtchenko soit reconnue dans les pays occidentaux.

— Marc-Emmanuel MÉLON

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Écrit par

  • : professeur de communication à l'Institut supérieur des sciences sociales et pédagogiques de Marcinelle, Belgique, chargé de cours à l'université de Liège

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