DAVID-NEEL ALEXANDRA (1868-1969)
Née à Saint-Mandé en 1868, Alexandra David, dès son plus jeune âge, réagit aux difficultés par la fuite : c'est ce qu'elle révélera dans une autobiographie posthume, Le Sortilège du mystère (1972). Ses biographes, Jean Chalon et Jacques Brosse, suggèrent que sa misanthropie trouve son origine dans le regard que son père l'a obligée à porter – à deux ans et demi – sur les cadavres de la Commune.
La longévité d'Alexandra, morte à cent ans et dix mois, modifie les perspectives habituelles : elle vit sa petite enfance pendant la guerre de 1870 et suit à la radio les événements de mai 1968 ; elle connaît la gloire à près de soixante ans, à son retour de Lhassa, la cité interdite du Tibet. Elle voyage au Sri Lanka et en Inde dès 1891, mais ce n'est qu'à quarante-trois ans qu'elle a commencé ses parcours à travers une Asie mystérieuse, dans la seule compagnie du lama tibétain Yongden, qui l'accompagne comme son fils. Sa connaissance du bouddhisme la fait reconnaître comme spécialiste par les religieux hindous et tibétains eux-mêmes. Son imprégnation des cultes asiatiques exige des années d'études des langues et des textes, d'initiation dans le silence, l'ascèse et la méditation, particulièrement auprès d'un sgom-chen (Grand Méditant) de Lachen dans l'Himalaya.
La route vers Lhassa
Son parcours a toujours été hors du commun : à dix-huit ans, elle découvre l'anarchie auprès d'Élisée Reclus et écrit sa première « confession intellectuelle », Pour la vie (1898). Elle est accueillie en Grande-Bretagne par la Société théosophique dont l'enseignement s'inspire largement du bouddhisme. À Paris, elle apprend le sanskrit et le chinois, découvre le musée Guimet. Le bouddhisme répond à son attirance pour la mystique et pour des expériences d'une austérité extrême. Il est aussi un moyen de triompher des crises de neurasthénie qui l'accablent. Elle mène plusieurs vies à la fois : chanteuse, directrice artistique, journaliste, conférencière, rose-croix, franc-maçonne, voyageuse, amoureuse. Elle séjourne à Hanoï, Athènes, Tunis sous l'identité d'Alexandra Myrial, cantatrice. Son mariage avec Philippe Neel, en 1904, ne modère en rien ses positions féministes et son désir obstiné de l'ailleurs. En 1911, elle publie Modernisme bouddhiste et le bouddhisme du Bouddha, et part pour l'Orient.
Malgré ses dissensions avec son mari, c'est lui qui obtient les subventions permettant le financement de son périple et c'est par les missives qu'elle lui adresse (Journal de voyage. Lettres à son mari, 1975 et 1976) qu'on peut suivre son cheminement à travers Ceylan et l'Inde, où elle s'entretient avec Śrī Aurobindo et la « Mère », qui organise autour du maître une communauté spirituelle et temporelle (Āśram). Elle quitte Calcutta pour rencontrer le dalaï-lama, séjourne au Sikkim, puis retourne en Inde, passe plusieurs mois au Japon avant de remonter vers la Corée et de traverser la Chine d'ouest en est jusqu'au Tibet où, vêtue en mendiante, elle atteint Lhassa en 1924.
Alexandra David-Neel accomplit cette pérégrination initiatique et scientifique avec la conviction d'avoir une place à prendre, celle de « reporter orientaliste », titre manifestant sa distance à l'égard des cultes qu'elle pratique. Elle se sent investie d'une mission : transmettre au monde les beautés du Tibet et ses enseignements secrets. Dès son retour en France, elle rédige des milliers de pages, travaillant seize heures par jour dans la propriété achetée à Digne en 1928, et baptisée « Samten Dzong ». Elle tient de son père journaliste son talent d'écriture. Ses récits de voyage, rédigés dans l'urgence, souffrent d'un style un peu convenu et de l'emploi de mots recherchés, qui servent toutefois la finesse et la précision de ses descriptions.[...]
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Écrit par
- Aliette ARMEL : romancière et critique littéraire
Classification
Média