BLOK ALEXANDRE (1880-1921)
Blok, seul héros de ses drames
Poète, Alexandre Blok fut aussi dramaturge. Sa vie durant, il se passionna pour le théâtre. Adolescent, il avait rêvé de se faire acteur et avait souvent joué dans des spectacles d'amateurs. Mais ce sont surtout les années 1906, 1907 et 1908 qui demeurent véritablement placées sous le signe du théâtre. Sa liaison avec Nathalie Volokhova, actrice du théâtre de Véra Kommissarjevskaïa renforce encore ses liens avec le théâtre.
Les poisons lyriques
Les premiers drames de Blok, Baraque de foire, Le Roi sur la place et L'Inconnue sont écrits en 1906. Blok les publie sous le titre de Drames lyriques. Qu'est-ce qu'un drame lyrique ?
Pour Blok, le point de départ de ses premiers drames, c'est la complexité de l'âme moderne « nécessairement solitaire... pleine d'émotions chaotiques, inextricables ». Cette âme n'a pas d'autre moyen d'expression que le lyrisme. Ce qui caractérise avant tout le lyrisme, c'est d'être étranger à l'élémentaire, étranger à la vie. C'est le fait de s'exclure lui-même de ces « domaines de la création artistique qui apprennent à vivre » (Préface aux Drames lyriques, août 1907).
Chez Blok, le drame lyrique se définit comme précisément l'expression de la complexité, de la contradiction intérieure qui est la marque de l'âme moderne. Âme solitaire, centrée sur elle-même, aux émotions chaotiques et qu'il est presque impossible de cerner. Âme atteinte d'une passivité morbide, passivité qui découle de sa grande aptitude à l'introspection, à l'analyse. À l'action se substitue l'exposition d'un thème poétique. Aux conflits qui, au théâtre, opposent les caractères, se substitue « l'unité du type fondamental et de ses aspirations » (Du drame, août-sept. 1907), ce qui revient à dire qu'il n'y a pas de caractères. Les personnages ne sont que « des masques de leur créateur », qui est le seul véritable héros de ses drames. En somme, le drame est devenu « monodrame » et a perdu tout ce qui aurait pu lui donner un caractère théâtral.
Le drame lyrique est une forme d'art étrangère au théâtre, ce dont Blok lui-même n'a jamais douté : « L'influence du lyrisme fut néfaste pour le drame... Les poisons lyriques les plus subtils ont rongé les colonnes simples et les chaînes solides qui soutiennent et lient le drame... Le drame russe est paralysé par le lyrisme » (Du drame).
Blok ne destinait aucun de ses trois premiers drames lyriques à la scène (Préface aux Drames lyriques). Baraque de foire et L'Inconnue furent les seules des cinq pièces de Blok à être portées à la scène, très peu de fois, avec un succès mitigé, malgré une mise en scène originale de Vsevolod Meyerhold.
La quatrième pièce de Blok, la plus autobiographique et la moins réussie de toutes, Le Chant du destin (1908), fut refusée par Stanislavski qui, dans une longue lettre écrite à Blok, dit « qu'on ne pouvait pas, et qu'il ne fallait pas jouer cette pièce » (Journal de Blok, 1er déc. 1912).
Le cinquième, dernier et certes le plus original des drames de Blok, La Rose et la Croix (1913), eut le même destin. Stanislavski, à qui seul Blok entend confier sa pièce, se montre très réticent et, après de nombreuses répétitions, renonce à la jouer.
Interprète des forces élémentaires
Si le drame lyrique est étranger à la nature même du théâtre, il est encore plus étranger à la nature du théâtre russe, de tradition exclusivement réaliste. Avec Baraque de foire, le symbolisme russe avait subi pour la première fois l'épreuve de la scène. Mais, détachées de la vie, du quotidien, du réel, les ombres symbolistes n'avaient eu sur le spectateur aucune prise. Même Stanislavski, ce grand homme de théâtre, « n'a rien compris, rien accepté, rien senti », note[...]
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Écrit par
- Sophie LAFFITTE : professeur à l'université de Paris-X-Nanterre
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