BRAÏLOVSKI ALEXANDRE (1896-1976)
Né à Kiev le 16 février 1896 et mort à New York le 25 avril 1976, le pianiste américain d'origine russe Alexandre Braïlovski fut, à Vienne, entre 1911 et 1914, l'élève de Theodor Leschetizky. Très doué et précoce, il ne commença que relativement tard ses tournées internationales ; à ce retard contribua naturellement la Première Guerre mondiale. Il se rendit célèbre aux États-Unis à partir de 1924 et c'est dans ce pays qu'il proposa, pour la première fois, des cycles de concerts entièrement consacrés à un seul compositeur : Frédéric Chopin.
Durant toute sa carrière, Braïlovski se consacra en effet à peu près exclusivement aux œuvres de Chopin. Cette spécialisation à outrance en fit, pour bien des amateurs de piano du monde entier, un interprète modèle de ce musicien. On était cependant loin du compte. Sur le plan de la virtuosité, il n'y avait rien à dire : les doigts de Braïlovski se promenaient sur les touches avec une sûreté absolue. Mais l'œuvre de Chopin ne se résume pas à la virtuosité, c'est avant tout de la musique et de la poésie. Or Braïlovski le poète et Braïlovski le musicien, en admettant qu'ils aient jamais existé, étaient très loin de l'esprit, du style de Chopin.
Certes, Braïlovski ne manquait pas de circonstances atténuantes. Il a vécu et œuvré à une époque où l'image que le monde musical et les mélomanes se faisaient de Chopin était suprêmement fausse. En ce temps-là – et c'était un héritage de la seconde moitié du xixe siècle – Chopin était, tout d'abord, un compositeur essentiellement féminin, ce mot étant pris, dans ce cas, en un sens péjoratif.
Sa musique était un susurrement, la suavité et seulement la suavité, c'était aussi un peu une certaine coquetterie. Il ne fallait surtout pas la jouer en force, avec vigueur, mais au contraire en douceur, en mollesse, en rêverie inorganisée. C'était le Chopin des jeunes filles chlorotiques de très bonne famille, à qui le piano servait de dérivatif aux frustrations que la morale triomphante leur imposait.
Cette « conception » de la musique de Chopin était celle de Braïlovski. Certes, le virtuose était parfait, mais le musicien n'avait aucune idée de ce qu'avait été le véritable Chopin : un malade, bien sûr, mais qui dans cette maladie trouvait une source d'énergie humaine insoupçonnée et qui, en musique, oubliait son mal, composait sainement, héroïquement, et pas seulement quand il évoquait sa Pologne natale, écrasée sous la botte russe.
Braïlovski s'est rendu célèbre par ses « rubatos », c'est-à-dire par ses continuels changements de tempo, accélérations, ralentissements au cours d'une seule phrase. Évidemment, un certain rubato fait partie du style de Chopin, il ne faut pas jouer sa musique d'une manière métronomique. Mais Chopin lui-même disait à ses élèves : « La main gauche doit conserver implacablement le tempo une fois donné, et dans ce cadre, mais dans ce cadre seulement, la main droite peut rêver, se promener hors du tempo par instants, y revenir toujours assez vite pour que le tempo général ne change pas. » Braïlovski était loin de suivre ces recommandations. Et même lorsqu'une conception plus saine de la musique de Chopin a commencé à s'imposer vers les années 1930, Braïlovski est resté fidèle à lui-même. Et s'est-il jamais rendu compte de l'importance du « précurseur » Chopin, de celui où Wagner lui-même devait puiser les secrets de l'utilisation du chromatisme modulant ? Il ne le semble pas ; car dans ce cas, il aurait peut-être cherché à approfondir un style où la musique pure triomphe toujours des maniérismes et de la sentimentalité facile.
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Écrit par
- Antoine GOLÉA : critique musical
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