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CABANEL ALEXANDRE (1823-1889)

Faut-il adopter vis-à-vis du peintre Alexandre Cabanel l'attitude de « juste mesure » que réclamait Lafenestre dans son livre, La Tradition dans la peinture française : « [Le peintre n'est pas à] placer aussi haut que l'ont pu rêver un instant ses admiratrices des deux mondes, ni aussi bas que le voudraient voir précipiter les sectateurs violents d'un réalisme exclusif » ? L'inquiétude de Lafenestre, qui faisait confiance à la postérité, est justifiée : l'artiste est aujourd'hui oublié et, si l'on parle de lui, c'est pour le tourner en dérision (Exposition Équivoques, Paris, 1973). Son nom est devenu presque synonyme du peintre officiel, académique, du second Empire ou de la IIIe République, responsable de la décadence de l'école française de peinture. C'est oublier bien vite la nouveauté de la peinture de Cabanel, notamment dans le genre du portrait, c'est faire fi de ses grandes décorations picturales, c'est méconnaître le dessinateur (ensemble important au musée de Montpellier), c'est aussi oublier qu'il forma onze grands prix de Rome.

Alexandre Cabanel est né à Montpellier ; il gagne Paris à la fin de l'année 1839 pour entrer dans l'atelier de Picot ; il s'inscrit à l'École nationale des beaux-arts en octobre 1840 et participe aux Salons à partir de 1843. En 1845, vainqueur avec Léon Bénouville du grand prix de Rome (peinture), il part pour cinq ans à la villa Médicis. Il s'installe à Paris à son retour d'Italie en 1850 et meurt dans cette ville. La vie de Cabanel est sans surprises, uniforme, heureuse ; les succès d'honneur (décorations officielles, médailles aux Salons), d'argent (nombreuses commandes) viennent récompenser régulièrement ce maître laborieux. Son activité à Rome est très révélatrice, par ses envois (de nombreux portraits envoyés à Alfred Bruyas, son fidèle protecteur montpelliérain), de ses admirations, qui l'éloignent des élèves d'Ingres, contemplateurs exclusifs du Quattrocento. Ses préférences vont à Raphaël, Titien, Bronzino, Del Sarto ; il retient de ce dernier les tendresses exquises, déjà efféminées, de Bronzino la distinction blanche et froide. Quelques essais dans le domaine de la peinture historique (Mort de Moïse, musée de Washington ; Glorification de Saint Louis, commandée pour la chapelle de Vincennes, actuellement au musée municipal de Lunéville), non couronnés de succès, détournent Cabanel de cette voie pour la peinture de genre.

Les sujets qu'il choisit deviennent sentimentaux, prétextes à la traduction de la mélancolie voluptueuse, des repentirs sensuels. L'admiration de Delaroche et d'Ary Scheffer remplace alors celle de Michel-Ange et de Raphaël. Harmonies tendrement délicates, dessin soigné, très grande finesse (« cette finesse, mise en tout », disait Lafenestre), colorations fines caractérisent ces œuvres. Mais le reproche reste toujours le même : « Le manque de vigueur, de largeur, de chaleur dans l'exécution d'ensemble, compromet la valeur de beaux morceaux d'étude qui s'égarent... » (Delaborde). Le succès de ce genre de tableaux auprès d'une clientèle anglo-américaine exerça une influence de plus en plus visible sur le choix de ses sujets autant que sur sa manière de les traiter. La Bible, la mythologie, l'histoire ancienne, Dante et Shakespeare furent mis à contribution par Cabanel pour fournir aux amateurs anglo-saxons une brochette de pécheresses bien élevées et de délicieuses victimes. Elles s'appellent Dalilah, Ruth, Thamar, Flore, Lucrèce, Phèdre, Desdémone ou Fiammetta, Ginevra dei Almieri, Francesca di Rimini (tableau au musée d'Orsay), ces filles du sérail poétique qui plaisent aux lecteurs de la Dalila d'Octave Feuillet. La façon dont le peintre les présente est toujours[...]

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