IAKOVLEV ALEXANDRE (1923-2005)
Mort le 18 octobre 2005 à Moscou, Alexandre Iakovlev suscitait des controverses depuis vingt ans. Certains le considèrent comme le « père de la perestroïka », la restructuration qui aurait permis de démocratiser l'U.R.S.S. D'autres lui reprochent la disparition de l'U.R.S.S., tandis que d'autres encore se demandent si, par ses revirements abrupts, il n'a pas contribué à discréditer les idées de liberté et de droit qu'il prétendait défendre.
Alexandre Nikolaïévitch Iakovlev est né le 2 décembre 1923, dans une famille très modeste. Blessé à la guerre, il entame des études d'histoire, puis étudie à l'École supérieure du parti. Dès 1946, il commence sa carrière de travailleur idéologique et œuvre d'abord à Iaroslav, dans l'appareil régional de propagande du parti. À moins de trente ans, il accède à un poste relevant de la nomenklatura et s'y montre suffisamment efficace pour être muté à Moscou, à l'Agitprop du comité central du parti. Après le XXe congrès du parti qui, en février 1956, dénonce certains crimes staliniens, Alexandre Iakovlev entreprend un doctorat en relations internationales et – privilège rare à l'époque – est autorisé à passer quelques mois à l'université Columbia de New York. En 1960, il retrouve l'Agitprop du comité central du parti. Rapidement, il y devient responsable de la presse, puis dirige ce département de la propagande qui, admettra-t-il, a pour fonction de « contrôler durement les médias et de manifester une vigilance constante ». Lorsque les écrivains Andreï Siniavski et Iouli Daniel sont jugés pour avoir publié des textes à l'étranger, c'est Alexandre Iakovlev qui décide des comptes rendus de ce procès dans les journaux soviétiques.
À cette époque, deux clans s'affrontent dans le champ littéraire : les « libéraux », qui souhaitent approfondir la déstalinisation, et les « nationalistes » pro-staliniens. Or, dans la Litératournaïa Gazéta du 15 novembre 1972, Alexandre Iakovlev signe un très long article, « Contre l'anti-historicisme », dans lequel il prend position, au nom du marxisme-léninisme, contre certains « nationalistes ». Il sait pourtant que ceux-ci ont la sympathie d'une grande partie de l'appareil du parti et que le comité central vient de trancher en leur faveur. Cet article semble donc bien avoir été une « provocation » calculée et vaut à son auteur de passer dix ans au Canada, comme ambassadeur.
En 1983, Iouri Andropov, alors secrétaire général du P.C.U.S. (1982-1984), rappelle Iakovlev à Moscou et le nomme directeur du prestigieux Institut de l'économie mondiale et des relations internationales. En juillet 1985, Mikhaïl Gorbatchev le mute à la tête du département de la propagande du comité central. Alexandre Iakovlev rejoint, en mars 1986, le secrétariat du comité central et, en juillet 1987, le bureau politique. Il est alors le théoricien de la perestroïka, prône la glasnost (transparence) et autorise la sortie de livres et de films jusque-là interdits. Il encourage aussi l'exploration des « taches blanches » de l'histoire soviétique et il soutient l'émergence d'un État de droit, ainsi qu'une libéralisation de l'économie. En 1991, il quitte le parti et prend position contre les putschistes. Peu après, il crée une commission pour réhabiliter les victimes de répressions politiques. Le dissident Vladimir Boukovski ironisera : « C'est un peu comme si la réhabilitation des victimes d'Auschwitz avait été confiée au Dr Goebbels »...
Au fil du temps, les positions publiques d'Alexandre Iakovlev ont considérablement évolué. À la fin de 1990, celui-ci assure encore que les idéaux de la révolution d'Octobre étaient justes, et désapprouve le point de vue « selon lequel Hitler et Staline, c'est la même[...]
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Écrit par
- Cécile VAISSIÉ : docteur en science politique, professeur des Universités en études russes et soviétiques
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