HERZEN ALEXANDRE IVANOVITCH (1812-1870)
Journaliste, écrivain, philosophe, homme politique et homme de science, Alexandre Ivanovitch Herzen, aristocrate révolutionnaire, a laissé une œuvre qui, comme son action, recèle une unité profonde à la recherche des idéaux, indissolublement liés, de justice et de liberté. Ses convictions démocratiques lui ont valu les éloges de Lénine et, à sa suite, des historiens et critiques soviétiques ; mais, champion de la liberté et des droits de l'homme contre tous les despotismes, il a lutté, avec une lucidité prophétique, pour la liberté de l'individu face à l'emprise totalitaire de l'histoire ; d'où la modernité du penseur, celle aussi de l'artiste qui a créé de nouveaux rapports entre l'art, son moi et le siècle. La richesse de son expérience de lutteur et de témoin fait de cet ami de Proudhon, de Michelet, de Mazzini, de Bakounine, l'un des grands Européens du xixe siècle.
Fils d'un grand seigneur et riche propriétaire, I. A. Iakovlev, et d'une Allemande d'humble extraction, Herzen (dont le nom, choisi par son père, vient de l'allemand Herz, le cœur) naît à Moscou en 1812. Il y reçoit une éducation aristocratique, alors imprégnée des idées romantiques et fortement marquée par l'échec du putsch décembriste de 1825 (une page célèbre de Passé et Méditations peint Herzen adolescent, faisant serment avec son ami, le futur écrivain et révolutionnaire Ogarev, de poursuivre l'œuvre des révolutionnaires décembristes). Il est influencé par Pouchkine, Schiller, Byron, mais aussi par le xviiie siècle français et bientôt par Saint-Simon, Leroux, Fourier, Lamennais. À l'université de Moscou, il étudie les mathématiques et la physique, publie des articles scientifiques et songe à fonder une revue lorsqu'il est arrêté pour activités « subversives » et exilé à Perm, puis à Viatka et à Vladimir, où il apprend à connaître l'enlisement provincial et la bureaucratie tsariste. En 1838, il épouse Nathalie Zakharina. L'histoire romanesque, douloureuse ou tragique, de leurs amours tiendra une grande place dans sa vie, son œuvre.
Un génie de la synthèse
De retour à Moscou en 1840 (mais il connaîtra en 1841-1842 un autre exil, à Novgorod), Herzen participe très activement à la vie intellectuelle. Naguère soucieux de trouver une synthèse entre science et religion dans les socialismes utopiques, il s'initie à Hegel et, contre les interprétations de l'« hégélianisme de droite » qui avaient un temps subjugué ses amis Bielinski et Bakounine, veut rétablir l'autonomie de l'individu en refusant l'absolutisation de l'histoire. Influencé par Feuerbach et le philosophe polonais Cieszkowski, il crée une philosophie de l'action dans laquelle la notion d'individu, but et non instrument de l'histoire, réconcilie rationalité et liberté (Le Dilettantisme en science, 1843). Une position analogue s'exprime dans ses Lettres sur l'étude de la nature (1845) : le matérialisme (« empirisme » chez Herzen) et la philosophie spéculative (« idéalisme ») doivent se féconder mutuellement, le premier n'accédant pas à la synthèse (et, notamment, pas à la notion de personne), la seconde ignorant le concret individuel. Tension dialectique qui se retrouvera chez Herzen aux niveaux sociologique et politique, entre le souci de la liberté individuelle, écrasée par le poids de l'autorité et de la tradition, et le risque clairement entrevu d'atomisation ou de désintégration sociale. D'où, chez cet « occidentaliste », des tendances slavophiles qui apparaîtront notamment dans le populisme.
Les années quarante sont aussi parmi les plus fécondes du point de vue littéraire : avec À qui la faute ? (1841-1846), Le Docteur Kroupov (1847), La Pie voleuse (1848), il se place dans le courant réaliste qui se[...]
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Écrit par
- Jean BONAMOUR : professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne
Classification
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