KANTOROW ALEXANDRE (1997- )
Un répertoire romantique
Sa pédagogue Rena Shereshevskaya, confiante dans l’évidence de ses dons et dans son expérience solide du jeu avec orchestre, décide de le confronter à l’une des compétitions les plus prestigieuses de la planète : le XVIe concours international de musique Piotr-Ilitch-Tchaïkovski de Moscou (2019). Cette redoutable épreuve avait certes déjà accueilli de nombreux finalistes français – citons notamment Jean-Bernard Pommier (7e prix, 1962), Bruno Rigutto (8e prix ex æquo, 1966), Brigitte Engerer (6e prix, 1974), Pascal Devoyon (2e prix ex æquo, 1978), Roger Muraro, (4e prix ex æquo, 1986), Lucas Debargue (4e prix, 2015). En 2019, Alexandre Kantorow est non seulement le premier Français à remporter ce 1er prix tant convoité devant un jury de grande qualité – Denis Matsuev, Nelson Freire, Michel Béroff, Menahem Pressler et Barry Douglas–, mais il se voit également décerner le grand prix toutes disciplines confondues – le challenge concerne en effet tout autant les cordes, les cuivres que les voix – par Valery Gergiev, le président du concours. Cette dernière distinction n’avait été attribuée que trois fois pendant toute l’histoire d’un concours créé en 1958. Il confie : « Je me sens français et mes racines russes sont lointaines. La Russie pour moi, c’est le chant, la couleur, le sens des extrêmes, les cloches, une expression très directe et l’idée d’une symbiose entre tous les arts. »
Le jeu flamboyant d’Alexandre Kantorow marie rigueur de conception, puissance sonore et une sorte de « lâcher-prise » qui lui donne au concert la vivacité d’une liberté un peu sauvage et lui vaut, en 2020, une Victoire de la musique classique. Encore très jeune, l’interprète montre une autorité, une intelligence, une imagination et un sens de la mise en espace peu fréquents dans sa génération. Son domaine de prédilection privilégie le monde romantique, qu’il fréquente en soliste ou en compagnie du violoncelliste Victor Julien-Laferrière ou des violonistes Liya Petrova et Daniel Lozakovich. « Je sens le rubato comme au violon. Je suis très marqué par le jeu de mon père, la manière dont il pense les intervalles, son rapport à la virtuosité… La deuxième chose, c’est le temps qu’on prend entre les notes, la justesse de ce que l’on veut raconter. Un pianiste ne peut pas contrôler une note comme un violoniste, mais il peut obtenir ce qu’il cherche entre les notes. »
Alexandre Kantorow inaugure sa discographie chez Bis avec un album consacré à la musique de chambre française, en compagnie du violon paternel, tirant de l’oubli des sonates signées Camille Chevillard (1859-1923) et André Gedalge (1856-1926). Son brio virtuose et son sens du style s’expriment avec éclat dans l’intégrale des concertos pour piano de Saint-Saëns et de Liszt, cette dernière étant complétée par une page de jeunesse du compositeur hongrois intitulée « Malédiction », avec l’orchestre Tapiola Sinfonietta dirigé par Jean-Jacques Kantorow. Il nous offre un séduisant récital russe où l’on distinguera la monumentale première sonate pour piano de Rachmaninov. Enfin, dans un exigeant programme Brahms qui regroupe d’intenses pages de jeunesse – les fougueuses Sonates no 2 et no 3, ainsi que les périlleuses Ballades op. 10 –, il affronte sans déchoir les plus écrasantes références – Edwin Fischer, Arturo Benedetti Michelangeli, Sviatoslav Richter, Claudio Arrau, Nelson Freire, Wilhelm Backhaus ou Peter Rösel.
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Écrit par
- Pierre BRETON : musicographe
Classification
Média