KOYRÉ ALEXANDRE (1892-1964)
Historien de la pensée philosophique et de la pensée scientifique, Alexandre Koyré a été le fondateur, avec Hélène Metzger, Gaston Bachelard et Georges Canguilhem, de l'histoire philosophique des sciences.
Il naît le 28 août 1892 en Russie, à Taganrog. Inquiété pour propagande antitsariste, il s'exile d'abord en Allemagne, où il suit l'enseignement du philosophe Edmund Husserl et du mathématicien David Hilbert à Göttingen jusqu'en 1911, puis en France, où il suit les cours de l'historien des religions François Picavet à l'École pratique des hautes études (E.P.H.E.) et du philosophe Henri Bergson au Collège de France. Directeur d'études à l'E.P.H.E. (cinquième section des sciences religieuses et sixième section des sciences économiques et sociales), il devient, à partir de 1955, membre de l'Institute for Advanced Study de Princeton, après avoir défendu l'action de la France libre pendant la Seconde Guerre mondiale, à l'École libre des hautes études qu'il a fondée à New York.
L'unité de la pensée
Dans les années 1920, Alexandre Koyré étudie la mystique spéculative comme itinéraire intellectuel vers Dieu, conçu comme fusion avec un Absolu transcendant dans la mystique allemande ou comme adoration de l'Infini immanent dans la mystique française. Puis, à partir des années 1930, il poursuit l'étude de la pensée scientifique à l'âge classique (xvie-xviie siècles). S'il s'était d'abord attaché à montrer comment la pensée scientifique posait des problèmes métaphysiques, notamment l'astronomie copernicienne à la mystique de Jakob Boehme, il s'est ensuite employé à identifier les intuitions métaphysiques qui sont au cœur des grandes théories scientifiques et les structurent. La conviction profonde de Koyré est qu'il existe une unité de la pensée qui transcende sa division en disciplines autonomes et qu'il appartient à l'historien de rétablir. L'unité de la pensée qu'il a entrepris de reconstituer est celle du platonisme qu'il étudia dans ses variantes successives en philosophie et en physique du xie siècle au début du xixe siècle, soit de saint Anselme à Hegel. C'est dans ce cadre, dominé, pense-t-il, par l'opposition du platonisme (l'imposition de formes mathématiques à la réalité empirique) et de l'aristotélisme (l'observation logique des faits empiriques), que s'inscrit la révolution scientifique des xvie-xviie siècles.
Pour Koyré, l'émergence de la physique classique fut une révolution au sens littéral du terme puisqu'elle a substitué une science platonicienne à la science aristotélicienne qui l'avait supplantée. Il l'a définie par deux traits caractéristiques. D'une part, elle a détruit le cosmos géocentrique grec et anthropocentrique médiéval, conçu comme un tout fini et ordonné de valeurs et d'êtres. D'autre part, elle a géométrisé l'espace, étendue désormais homogène et infinie d'un univers qui n'est plus unifié par son créateur mais par la seule identité de ses lois et de ses éléments ultimes.
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Écrit par
- Gérard JORLAND : directrice d'études à l'École des hautes études en sciences sociales, Paris
Classification
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