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ALEXANDRE LE GRAND (356-323 av. J.-C.)

Un empire immense et fragile

Il est difficile de porter un jugement sur une œuvre sans nécessité historique. Le temps des guerres médiques était depuis longtemps passé. Perses et Grecs vivaient en bonne intelligence et l'empire des Achéménides, généralement bien toléré par les peuples qu'il dominait, n'était plus une menace pour les cités grecques d'Europe, où l'on se souciait peu du sort des Ioniens et des Éoliens. En fait, le Grand Roi était plutôt une gêne pour les Macédoniens, dans la mesure où la politique étrangère perse avait pour unique règle d'empêcher l'établissement en Grèce d'une hégémonie. Philippe en avait pris conscience lorsque Artaxerxès Ochos avait aidé Byzance et Périnthe contre lui, afin de lui interdire l'accès à la Propontide. Il avait pris alors la décision d'affaiblir la position des Perses en Asie Mineure, sans autre ambition peut-être que de les empêcher d'agiter les Grecs contre lui. Dans la mesure où le programme de la Ligue de Corinthe était seulement de « libérer les Grecs d'Asie », on peut estimer que ses ambitions n'allaient pas au-delà. Tout change avec Alexandre, pour des raisons qui ne sont pas claires et ne tiennent sans doute pas seulement à sa jeunesse et à sa personnalité.

Soulignons en effet que les rois des Macédoniens devaient tenir compte de l'opinion publique, qui s'exprimait dans leur conseil et dans l'assemblée de l'armée. Certes, leur autorité prévalait d'ordinaire et ils avaient le pouvoir de décision. Mais Alexandre n'aurait pas entrepris son expédition s'il n'avait pas rencontré l'approbation d'une partie au moins des Macédoniens en âge de prendre les armes. Or cette approbation s'explique aisément : la machine de guerre fabriquée par Philippe vivait des profits de la guerre, et les dernières campagnes balkaniques de ce roi ne semblent pas avoir été d'un grand rapport. En Grèce, la « paix générale » organisée par la Ligue réduisait les perspectives de butin. Restait donc l'Asie, où l'on pouvait espérer piller, asservir, trouver des terres à se partager. D'où le sentiment que les enrôlements furent bien accueillis quand Alexandre prépara la campagne de 334.

En revanche, après les profitables batailles et les fructueuses prises de villes des premières années, l'enthousiasme décroît : partir au loin pour des années ne sourit guère aux jeunes Macédoniens, à l'affût d'exemptions. Les Thessaliens, pourtant attachés à Alexandre, se lassent eux aussi et demandent à rentrer dans leur patrie, chargés de butin. Restent les mercenaires. Mais, cantonnés dans des baraquements perdus au fond de l'Asie, confrontés à un environnement hostile, ceux-ci n'aspirent qu'à regagner la Méditerranée. Il est clair qu'après la mort de Darius, Alexandre est à peu près le seul à vouloir poursuivre la guerre et étendre les conquêtes. Seul, le lien personnel et contraignant qui unit à lui tous ceux qui, cavaliers ou fantassins, sont ses « compagnons » (hétaïroi) peut expliquer qu'ils ne l'abandonnent pas. Les conquêtes les plus lointaines et les plus fascinantes (en particulier celle de l'Inde) sont ainsi le fait d'un homme seul, à la volonté et à la santé duquel tout est suspendu.

Cet empire, issu d'une gigantesque entreprise de brigandage, était-il viable ? Probablement, dans la mesure où le conquérant avait respecté non seulement les structures de l'empire conquis et les usages des vaincus, mais aussi les intérêts matériels des élites, gagnant ainsi leur attachement. Paradoxalement, si Alexandre avait vécu, les difficultés seraient venues de la Macédoine d'Antipatros, devenue en quelque sorte un appendice récalcitrant de l'empire, dont on attendait des hommes en échange de subsides. On ne connaît guère[...]

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Écrit par

  • : correspondant de l'Institut (Académie des inscriptions et belles-lettres), professeur de langue et littérature grecques à l'université de Nancy-II

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Médias

Alexandre le Grand - crédits : A. Dagli Orti/ De Agostini/ Getty Images

Alexandre le Grand

-600 à -200. Philosophes et conquérants - crédits : Encyclopædia Universalis France

-600 à -200. Philosophes et conquérants

Portrait d’Alexandre le Grand - crédits : T. Baggett/ Fotolia

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