SCRIABINE ALEXANDRE NIKOLAÏEVITCH (1872-1915)
Une créativité intense
L'année 1903 avait été très fertile en créations. Scriabine avait écrit environ trente-cinq pièces pour le piano, dont la magnifique Quatrième Sonate, op. 40, le Poème tragique, le Poème satanique, les Études, op. 42, et surtout une grande partie de la Troisième Symphonie, le Poème divin tout imprégné de fichtéisme. Dans cette œuvre grandiose, il s'efforce d'atteindre une sorte de dimension cosmique en dépassant le plan des émotions personnelles. En 1904, Scriabine quitta la Russie pour séjourner plusieurs années à l'étranger, d'abord à Vézenaz en Suisse, puis à Paris (en 1905), à Bogliasco en Italie (1905-1906), aux États-Unis (1906). Après avoir pris part en 1907 aux Concerts russes, organisés à Paris par Diaghilev, il s'installa à Lausanne et à Beatenberg en 1907 pour y terminer le Poème de l'Extase et y écrire sa magnifique Cinquième Sonate, op. 53.
La création du Poème divin à Paris, le 20 mai 1905, au théâtre du Châtelet par les Concerts Colonne fut très mal accueillie. Malgré cela, Gabriel Pierné, alors chargé du journal L'Illustration, publia le 1er juillet 1905 le Poème languide, op. 52, que Scriabine avait spécialement écrit pour les lecteurs français. Pendant longtemps, ce devait être la dernière publication d'une œuvre de Scriabine, car après la mort de Bélaiev il s'était brouillé avec les nouveaux administrateurs de la maison d'édition et, pendant quatre ans, il ne trouva personne qui acceptât de l'éditer. De ce fait, il vécut pendant plusieurs années dans des conditions matérielles très difficiles, notamment à Bogliasco où il avait loué une petite maison pour y composer le Poème de l'Extase, intitulé d'abord Poème orgiaque.
Dans une lettre à Tatiana de Schloezer, il relate la genèse du Poème de l'Extase :
« Je suis emporté par une énorme vague de créativité. J'en perds le souffle, mais, oh, quelle joie ! Je crée comme un Dieu. J'examine le plan de ma nouvelle composition pour la millième fois. Chaque fois, il me semble que le canevas est dessiné, que j'ai exprimé l'Univers en termes de libre créativité et que je puis finalement devenir le Dieu joyeux qui crée librement. Puis, le lendemain amène de nouveaux doutes, de nouvelles questions [...] »
En raison de son éloignement de sa patrie, Scriabine n'avait pas participé directement aux graves événements survenus en Russie en 1905. « Sa musique est le miroir de notre révolution. Mais c'est un mystique incorrigible ! », disait alors de lui le philosophe marxiste et ami de Lénine Gheorghi Valentinovitch Plekhanov, que Scriabine avait rencontré à Bogliasco. Sur les instances de Plekhanov, il donna le 30 juin 1906 à Genève un récital au bénéfice des réfugiés politiques de la révolution. Son adhésion aux idées marxistes ne fut cependant que passagère, et ses convictions élitaires le guidèrent bientôt vers d'autres sphères comme les milieux théosophiques de Bruxelles, qu'il fréquenta dès son installation dans la capitale belge, en septembre 1908.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Manfred KELKEL : professeur d'histoire de la musique à l'Université de Paris-IV-Sorbonne, docteur en musicologie, docteur d'État ès lettres
Classification
Autres références
-
HARMONIE
- Écrit par Henry BARRAUD
- 6 418 mots
- 13 médias
Le musicien russe Alexandre Scriabine avait, dès les premières années du xxe siècle, édifié un système harmonique personnel qui, parti d'accords par superposition de quartes et non plus de tierces, l'avait progressivement mené à un accord-mode, d'où était exclu tout sentiment d'une... -
PIANO
- Écrit par Daniel MAGNE et Alain PÂRIS
- 4 344 mots
- 15 médias
...tous les virtuoses. Il faut attendre la génération suivante pour voir l'école russe proposer une nouvelle littérature pour piano avec Rachmaninov et Scriabine. Les quatre concertos et les Préludes du premier parlent une langue néo-romantique qui contraste avec l'audace harmonique des dix sonates du... -
RUSSIE (Arts et culture) - La musique
- Écrit par Michel-Rostislav HOFMANN
- 3 032 mots
- 4 médias
Alexandre Scriabine (1872-1915) fut l'un des grands précurseurs de Stravinski et de Prokofiev ainsi que de la musique contemporaine dans son ensemble. Après avoir successivement admiré Chopin, puis Wagner et Liszt, Richard Strauss, Debussy et Ravel, il subit une influence spirituelle considérable...