O'NEILL ALEXANDRE (1924-1986)
Le nom d'Alexandre O'Neill reste lié au surréalisme, dont il a introduit les valeurs subversives dans son pays, le Portugal, alors soumis à un régime d'ordre moral. Mais l'étiquette surréaliste ne donne qu'une faible idée de la richesse de sa personnalité. Ce poète d'avant-garde, cosmopolite, nourri de culture française, se rattache à une tradition nationale et populaire, celle de la poésie satirique qui, depuis le Moyen Âge, fait contrepoids à la sentimentalité un peu larmoyante du lyrisme portugais. Alexandre O'Neill était si totalement libéré de tous les tabous esthétiques, moraux et sociaux qu'il a fini par refuser même ceux du surréalisme. Sa vision du monde, à la fois lucide et hallucinée, profondément originale, s'exprime dans une langue d'une souplesse et d'une agilité incomparables.
Né à Lisbonne le 19 décembre 1924, Alexandre de Castro O'Neill de Bulhoes renonce à poursuivre ses études à l'École navale pour se consacrer à la littérature. Il gagne sa vie en travaillant dans la publicité commerciale. À ses débuts, vers la fin de la guerre, il trouve un horizon culturel bouché : il appartient à cette génération de Portugais qui, de l'enfance à l'âge mûr, n'auront connu que le salazarisme. Il ne supporte pas de vivre dans ce « royaume de Danemark », dans ce « sale temps » de la peur devenue ordinaire, qui transforme les hommes en « rats ». Mais pour exprimer sa révolte, au lieu de se réclamer de l'esthétique « néo-réaliste » comme le font, quand ils s'engagent, la plupart des écrivains de son pays, il prend le parti de l'imaginaire. Il fonde en 1947, avec Mario Cesariny et José Augusto França, le premier groupe surréaliste portugais. Il a trouvé chez Breton et Eluard, à vingt-cinq ans de distance, un modèle de libération par « l'aventure mentale » et par le langage. Il publie Tempo de fantasmas en 1951.
Alexandre O'Neill restera fidèle, en un sens, à l'esprit du surréalisme, même s'il ne tarde pas à rompre avec le mouvement dirigé par Cesariny, qui s'enferme dans l'onirisme. Le titre du recueil de sa maturité, Abandono vigiado (Abandon surveillé), en 1960, traduit cette évolution. Du surréalisme, O'Neill conserve le délire, mais contrôlé ; le rêve, mais confronté à la réalité ; la révolte, mais sans illusion. Il aime de plus en plus le « bal » des mots, leurs rencontres cocasses dans les calembours ou les « inventaires », à la manière de ce « clown lyrique » qu'est Prévert. Une de ses chroniques est faite de « cadavres exquis » ; une autre reproduit la poésie involontairement saugrenue du catalogue de la Manufacture d'armes et cycles de Saint-Étienne.
O'Neill devient le poète de la banalité, de la laideur, du grotesque. Il y a dans ses poèmes comme dans ses récits l'ébauche d'une « comédie humaine » portugaise. Il exprime la violence latente de la vie quotidienne et ne veut pas « faire joli », mais « faire expressif ». Pour cela tous les moyens sont bons, des plus conventionnels aux plus provocateurs : le mètre régulier, la rime, la forme du sonnet, pour laquelle il a une prédilection, mais aussi la désarticulation du vers et de la phrase, l'argot, la scatologie, le mauvais goût, les solécismes et les barbarismes.
Cette esthétique du « rebrousse-poil » est une ascèse. Le poète suit de plus en plus « un chemin de pauvreté volontaire : un minimum de supports et d'effets, pour un maximum de communication verbale ». Sa parole se resserre, se raréfie, retourne au silence. L'un de ses derniers poèmes n'a que trois mots. Son titre est significatif : « Autocritique ». C'est que la poésie est devenue, chez O'Neill, le lieu même de la contestation de la poésie, le témoignage de son impossibilité. Il veut « se contenir dans l'effusion[...]
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Écrit par
- Robert BRECHON : agrégé des lettres, ancien directeur de l'Institut français de Lisbonne
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