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POUCHKINE ALEXANDRE SERGUEÏEVITCH (1799-1837)

L'éveil romantique et l'évolution vers le réalisme

De mai 1820 à juin 1823, Pouchkine occupe des fonctions subalternes peu absorbantes à Ekaterinoslav, puis à Kichinev, auprès du général Inzov, vice-roi de Bessarabie. Grâce à la bienveillance de son supérieur, il peut passer l'été 1820 au Caucase et en Crimée, avec la famille du général Raïevski, dont les deux fils appartiennent à sa génération et partagent ses idées libérales ; il séjourne quelque temps dans leur domaine familial de Kamenka, près de Kiev, où il rencontre quelques-uns des futurs conjurés décembristes. Nommé à Odessa en mai 1823, il se heurte à son supérieur, le comte Vorontsov, gouverneur de la Russie du Sud, qui le fait exclure du service.

L'épreuve douloureuse de l'exil, source d'amertume et de révolte, et la révélation de l'Orient, avec ses décors exotiques, sa nature sauvage, ses modes de vie primitifs, coïncident avec la découverte de Byron, dont les poèmes romantiques fournissent à Pouchkine le modèle de ses « poèmes du Sud », où vont s'épancher ces sentiments et ces impressions nouvelles. La Fontaine de Bakhtchisaraï (Bakhčisarajskij Fontan, 1823) présente, dans le cadre élégiaque d'un palais oriental en ruines, l'histoire de la passion tragique du dernier khan tatare de Crimée pour sa prisonnière polonaise. Le Prisonnier du Caucase (Kavkazskij plennik, 1821) conte l'aventure d'un officier russe prisonnier des montagnards rebelles et délivré par une jeune circassienne qui s'est éprise de lui et qu'il abandonne. Les Tsiganes (Cygany, 1824) ont pour héros un jeune gentilhomme russe au passé mystérieux qui, par dégoût de la civilisation, a choisi la vie errante et libre des Tsiganes de Bessarabie, mais qui, resté prisonnier de ses passions, sera bientôt banni de la tribu pour avoir refusé à sa jeune épouse infidèle la liberté dont les Tsiganes ont fait leur seule loi. L'élément personnel est sensible dans ces trois poèmes, notamment dans l'évocation lyrique des paysages méridionaux, ainsi que dans la peinture de passions violentes et tragiques, accordées à ces décors sauvages. Mais surtout, les deux derniers mettent en évidence, face à la nature et à l'amour, le « mal du siècle » du héros contemporain, supérieur à une société dont il n'attend plus rien, mais dont il porte en lui le poison.

On retrouve ce thème dans Evgenij Onegin, roman en vers commencé en 1823. Mais dès le départ, le personnage de l'enfant du siècle est ici dépouillé de son mystère : sur un ton ironique qui s'inspire du Don Juan de Byron, Pouchkine dépeint dans le premier chapitre l'éducation superficielle et la vie frivole d'un jeune dandy pétersbourgeois. À la nature exotique des poèmes du Sud se substitue ici la province russe, où Eugène Oniéguine s'est provisoirement exilé, et où il fréquente les Larine, nobliaux campagnards dont le mode de vie a, sous son vernis européen, la saveur familière du terroir. Ce trait est particulièrement sensible chez Tatiana Larine, jeune fille toute simple, effacée et rêveuse, lectrice assidue de romans français, mais profondément accordée aux saisons, aux rites et aux légendes de sa terre natale, représentée auprès d'elle par une vieille nourrice paysanne, confidente de ses rêveries. Fidèle à son personnage « byronien », Oniéguine tue en duel son meilleur ami, le poète « schillérien » Lenski, et repousse avec une indulgence affectée la naïve déclaration d'amour de Tatiana. Quelques années plus tard, il retrouve en celle-ci la reine éblouissante et inaccessible des salons de la capitale, mariée sans amour, mais résolue à rester fidèle : écrite en 1830, cette conclusion, qui sanctionne l'échec sentimental et la défaite morale d'Oniéguine, trahit chez Pouchkine la victoire d'une esthétique et d'une morale réalistes incarnées par Tatiana.[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-Sorbonne et à l'École normale supérieure

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<em>Alexandre Pouchkine</em>, V. Tropinine - crédits : Art Images/ Getty Images

Alexandre Pouchkine, V. Tropinine

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