Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

POUCHKINE ALEXANDRE SERGUEÏEVITCH (1799-1837)

Les thèmes

Prose ou vers, son œuvre est avant tout celle d'un artiste chez lequel l'intelligence est dirigée par l'imagination. Aussi sa pensée s'exprime-t-elle moins par le contenu explicite de ses œuvres que par le choix des thèmes qu'il esquisse, sans jamais s'appesantir, et dont il appartiendra à ses successeurs de développer la signification. Ainsi le héros plébéien du « Maître de poste » (« Stancionnyj smotritel' »), le cadre réaliste du « Fabricant de cercueils » (« Grobovščik »), dans les Récits de Bielkine, le personnage déclassé du Cavalier de bronze, le thème de l'or comme instrument de la volonté de puissance dans Le Chevalier avare et La Dame de pique préfigurent le réalisme social et humanitaire de l'« école gogolienne », et même certains thèmes dostoïevskiens.

La lecture de Karamzine, premier historien moderne de la Russie, a ouvert à Pouchkine un vaste domaine d'inspiration qu'il explore en artiste curieux de couleur locale, mais aussi en philosophe attentif à saisir les grandes forces à l'œuvre dans l'histoire russe et les valeurs qu'elles mettent en jeu. Après Boris Godounov, qui pose le problème politique et moral de la légitimité, deux personnages seront au centre de ses réflexions : Pierre Ier (qu'il évoque dès 1828 dans un roman inachevé, Le Nègre de Pierre le Grand[Arap Petra Velikogo], et dont il se prépare en 1834 à écrire l'histoire), en qui il admire le principe rationnel d'ordre, incarné par les régiments impeccables que le tsar oppose aux puissances du chaos (Poltava) et par la ville monumentale qu'il dresse contre l'anarchie des éléments (Le Cavalier de bronze) ; et, à l'opposé, le rebelle Pougatchev, incarnation du bouillonnement obscur et fascinant des « forces élémentaires », auquel il consacre une Histoire de Pougatchev (1833), fondée sur de scrupuleuses recherches d'archives et une enquête sur les lieux mêmes de l'insurrection, et, inspiré par ces recherches, le roman historiqueLa Fille du capitaine, où la figure complexe et colorée de l'usurpateur fait paraître un peu fades celles du jeune officier Griniov et de sa fiancée Macha, dont les amours contrariées et triomphantes servent de prétexte romanesque.

Cette opposition entre État et anarchie rejoint celle que les « petites tragédies » développent sur le plan plus personnel et plus universel à la fois de l'amour, de l'art, de la vie comme économie et comme morale, entre un principe de liberté, de spontanéité, de vie, incarné par le jeune chevalier (Le Chevalier avare), par Mozart, par Don Juan, par Walsingham (Le Festin pendant la peste), et un principe d'ordre, de durée, de conservation qui impose au précédent une limitation insupportable, mais qui apparaît en même temps comme la condition de son existence ou de son accomplissement. Ce sentiment tragique d'une contradiction inhérente à la nature même de la vie est, semble-t-il, le dernier mot de la philosophie de Pouchkine.

— Michel AUCOUTURIER

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-Sorbonne et à l'École normale supérieure

Classification

Média

<em>Alexandre Pouchkine</em>, V. Tropinine - crédits : Art Images/ Getty Images

Alexandre Pouchkine, V. Tropinine

Autres références

  • BORIS GODOUNOV (M. P. Moussorgski)

    • Écrit par
    • 224 mots
    • 1 média

    Créé au théâtre Mariinski de Saint-Pétersbourg le 27 janvier (ancien style) / 8 février (nouveau style) 1874, Boris Godounov – opéra en un prologue et quatre actes sur un livret du compositeur d'après le drame historique d'Alexandre Pouchkine – confère ses lettres de noblesse à la représentation...

  • DRAME - Drame romantique

    • Écrit par
    • 4 598 mots
    • 5 médias
    Le cas de Pouchkine est caractéristique de ces écrivains qui tentent de créer un drame national. Son Boris Godounov (1826) est une « histoire dramatique », une « chronique de nombreuses turbulences », un grand tableau historique dramaturgiquement peu construit. Là encore il faudra que l'opéra et Moussorgski...
  • EUGÈNE ONÉGUINE, Alexandre Pouchkine - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 1 267 mots

    Eugène Onéguine est un « roman en vers » qui comporte huit chapitres, plus le brouillon d'un chapitre x et celui d'un « Voyage d'Onéguine dans le Sud ». Pouchkine (1799-1837) avait vingt-quatre ans lorsqu'il entreprit de rivaliser – en russe et sur un sujet russe – avec les épopées humoristiques...

  • GLINKA MIKHAÏL IVANOVITCH (1804-1857)

    • Écrit par
    • 1 942 mots
    L'immense succès de ce premier opéra suscite immédiatement la demande d'un autre, dont la source va cette fois être un poème de Pouchkine, Rousslan et Loudmilla. Malheureusement, Pouchkine périt en février 1837 dans son absurde duel, et le livret est finalement écrit par une sorte de comité, composé...
  • Afficher les 8 références