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SOKOUROV ALEXANDRE (1951- )

« Il est peu de génies dans le cinéma : Bresson, Mizoguchi, Vigo, Buñuel, Satyajit Ray, Sokourov... ». Le premier, il y a trente ans, Andreï Tarkovski (Le Temps scellé, Éditions de l'Étoile-Cahiers du cinéma,1989) a reconnu et admiré le grand talent d'Alexandre Sokourov, hier voué à l'obscurité en Russie, aujourd'hui reconnu comme le cinéaste russe le plus estimé dans le monde.

Alexandre Sokourov est né en 1951 dans la province d'Irkoutsk, en Sibérie orientale. Son enfance et son adolescence se déroulent sous le signe du voyage, car son père, officier de l'Armée rouge, emmène sa famille de garnison en garnison, d'une République soviétique à l'autre, jusqu'en Asie centrale. Après des études secondaires, il suit des cours d'histoire à l'université de Gorki tout en travaillant comme réalisateur pour la télévision de cette ville. Puis, vingt ans après Tarkovski, il entre en 1975 à l'Institut de cinéma de Moscou (le V.G.I.K.) où il s'inscrit dans la filière du documentaire et du cinéma de vulgarisation scientifique (le documentaire et le document tiendront une place importante dans sa filmographie). Mais ses débuts de cinéaste sont très difficiles. Son film de fin d'études – une adaptation de deux nouvelles de Platonov, « Le Fleuve Poutoudan » et « Origine d'un maître » – est refusé en 1978 par le V.G.I.K., qui demande que l'unique copie soit détruite (par bonheur cette injonction restera lettre morte). Recommandé par Tarkovski, qui avait beaucoup aimé cette adaptation, Sokourov entre au studio Lenfilm. Entre 1980 et 1986, il tourne plusieurs films. N'ayant pas été admis dans l'Union des cinéastes, il ne peut cependant pas les signer et les organismes d'État n'ont pas le droit de les diffuser. Il faut attendre l'arrivée au pouvoir de Mikhaïl Gorbatchev en 1985 pour que le premier film du cinéaste, remanié et complété, soit présenté sous le titre La Voix solitaire de l'homme au festival de Locarno 1987, où il reçoit le léopard de bronze. Dès lors, ses films sont rendus accessibles au public.

<em>Francofonia. Le Louvre sous l’Occupation</em>, d’Alexandre Sokourov. - crédits : Sophie Dulac Distribution/ Screen Prod/ Photononstop

Francofonia. Le Louvre sous l’Occupation, d’Alexandre Sokourov.

Riche de plus de quarante films, l'œuvre de Sokourov, qui répond à une exigence créatrice de nature spirituelle, est ample, diverse, éclectique. Partagée entre dix-huit courts ou moyens-métrages (d'une durée inférieure à soixante minutes) et vingt-six longs-métrages, elle comprend des films dont l'inspiration relève du documentaire – Une vie humble (1997) –, des films de pure fiction, que celle-ci soit inspirée par la littérature (Sauve et protège, 1989, adapte Madame Bovary ; Pages cachées, 1993, transpose Crime et châtiment), ou qu'elle relève de l'imagination du cinéaste (Alexandra, 2007). Elle est rythmée par trois cycles. L'élégie, chère à « l'âme russe », que le cinéaste définit comme « un souvenir bon et triste de ce qui fut et ne reviendra jamais » et à laquelle il a consacré neuf films dont Élégie de Moscou (1986-1988), en hommage à Tarkovski, et l'admirable Élégie de la traversée (2001). La famille : Mère et fils, qui le révéla en France en 1996, et Père, fils (2003) (Deux frères et une sœur est en projet). L'homme de pouvoir enfin : Hitler (Moloch, 1999), Lénine (Taureau, 2000), Hirohito (Le Soleil, 2004) ; Faust enfin, lion d’or à la Mostra de Venise 2011. Dans son œuvre, le document s'unit souvent à la fiction en particulier dans L'Arche russe (2002), qui restera dans l'histoire du 7e art comme le premier film tourné en un seul plan-séquence de 95 minutes où coïncident temps diégétique et temps filmique. La durée de ces films est d'ailleurs très variable : onze minutes pour Sonate pour Hitler (1979-1989), plus de cinq heures pour Voix spirituelles (1995).

Si, dans la tradition russe, Alexandre Sokourov met en[...]

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Écrit par

  • : docteur ès lettres, diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris, critique de cinéma

Classification

Média

<em>Francofonia. Le Louvre sous l’Occupation</em>, d’Alexandre Sokourov. - crédits : Sophie Dulac Distribution/ Screen Prod/ Photononstop

Francofonia. Le Louvre sous l’Occupation, d’Alexandre Sokourov.

Autres références

  • L'ARCHE RUSSE (A. Sokourov)

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    • 1 026 mots

    Le récit de L'Arche russe (2002) s'ouvre dans un registre quelque peu énigmatique. L'écran, gris, n'est animé par aucune image, tandis qu'une voix off murmure : « J'ouvre les yeux et je ne vois rien... », avant d'évoquer une impression de peur ressentie par des personnes qui s'enfuient, sans qu'elles...

  • FRANCOFONIA. LE LOUVRE SOUS L'OCCUPATION (A. Sokourov)

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    • 950 mots
    • 1 média

    L'œuvre aux multiples visages d'Alexandre Sokourov, abondante – quarante-six films depuis 1978 –, riche d'une écriture cinématographique pleinement accomplie, est marquée par la passion du cinéaste pour la peinture. Francofonia. Le Louvre sous l’Occupation (2015) s'inscrit...

  • MÈRE ET FILS (A. Sokourov)

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    Dans Le Temps scellé, évoquant les « génies » du cinéma, Andrei Tarkovski plaçait Alexandre Sokourov aux côtés de Jean Vigo, Robert Bresson, Luis Buñuel, Satyajit Ray et Mizoguchi Kenji. La beauté de Mère et fils (1997) confirme la lucidité de ce jugement. L'auteur de Stalker souhaitait...

  • PARLANT (CINÉMA) - (repères chronologiques)

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  • RUSSE CINÉMA

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    ..., Alexandre Kaidanovski, adapte sous sa supervision nominale un récit de Borges, dans un film d'études (Le Jardin, 1983). Toujours à Leningrad, Alexandre Sokourov réalise des films de montage et de réflexion historique pour la télévision (Alliés, des documentaires sur Chostakovitch, Chaliapine)....