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ZINOVIEV ALEXANDRE (1922-2006)

Peu d'œuvres sont aussi paradoxales et inclassables que celle d'Alexandre Zinoviev. Enfant de paysan devenu philosophe, faisant dissidence parmi les dissidents, rentrant après vingt et un ans d'émigration dans le pays qui l'avait expulsé et renié, ardent pourfendeur du communisme soviétique encourageant à voter pour le candidat communiste de la Russie postsoviétique : l'homme s'est montré pour le moins déroutant. Il naît le 29 octobre 1922 dans le petit village de Pakhtino, près de Kostroma, au nord-est de Moscou. Son enfance dans une famille de paysans de onze enfants du centre de la Russie lui donne le sens de la vie en collectivité, régie par des principes moraux fermes. Le jeune idéaliste, communiste convaincu, est très tôt confronté aux difficultés matérielles de la vie quotidienne, soigneusement occultées par la propagande étatique, dont il comprend ainsi le mensonge. Dénoncé pour avoir comploté contre Staline, de brillant étudiant il devient fugitif. Puis il s'engage pendant la Seconde Guerre mondiale, y gagne des galons et le droit de revenir à Moscou. Là, il termine ses études et travaille vingt-deux ans en tant que chercheur logicien, publiant de nombreux articles et monographies scientifiques. Son premier ouvrage de fiction, Les Hauteurs béantes, paraît en Occident en 1976 et connaît un grand retentissement, ce que l'État soviétique ne peut tolérer : deux ans plus tard, Zinoviev est contraint à émigrer à Munich, où il reçoit un poste à l'université. Mais il mourra en 2006 sur sa terre natale, à Moscou.

Auteur de quelque trente ouvrages, de nombreux articles de journaux, interviews et conférences, Zinoviev déploie les volutes de sa pensée subversive et provocatrice sur des milliers de pages, se libérant au fil des ans des conventions littéraires. Cette œuvre protéiforme se situe à la frontière des genres et des styles : tenant à la fois de la littérature et de la philosophie, de la fiction et de la sociologie, elle mêle pamphlet et traité scientifique, satire et poésie, grotesque et tragique, la verve de l'humoriste et le sérieux du chercheur. Zinoviev décrit le mode de vie soviétique et la psychologie de l'Homo sovieticus (titre d'un ouvrage de 1982). Il met en évidence la médiocratie engendrée par un régime qui perdure non parce qu'il est imposé d'en haut, mais parce que l'homme de la base le conforte et en a besoin. Il oppose la logique au discours officiel détaché du réel (les lettres profanées du slogan de L'Avenir radieux, 1978, sont l'illustration éloquente du fossé qui existe entre réalité et propagande) et pousse jusqu'à l'absurde les apories du système communiste. La structure répétitive de ses textes trahit l'enlisement de l'individu dans les rets d'une organisation sociale qui le dépersonnalise, galvanise ses instincts les plus bas – lâcheté, soif de pouvoir, désir grégaire de communautarisme – et le ravale au rang d'animal (le rat est la métaphore de l'Homo sovieticus).

Zinoviev continue après l'émigration à observer sa patrie, brocardant dans la même veine satirique les réformes andropoviennes, la perestroïka gorbatchévienne, en particulier dans Katastroïka (1990), et la prise de pouvoir par Eltsine. Il stigmatise l'état lamentable de la Russie postsoviétique égarée dans un no man's land idéologique, et montre un pays qui, après avoir perdu les repères communistes qui structuraient la société – fussent-ils haïs – n'a adopté qu'en surface les valeurs occidentales, qui lui sont étrangères et la détruisent. Le « complot gorbatchévo-eltsinien » a, d'après lui, bradé la Russie à l'Occident et constitue un modèle de trahison du pouvoir suprême vis-à-vis du peuple.

Enfin, Alexandre Zinoviev débusque les cellules cancéreuses du totalitarisme[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences en littérature et culture russes, Sorbonne université

Classification

Autres références

  • RUSSIE (Arts et culture) - La littérature

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    • 23 999 mots
    • 7 médias
    ...1963, publié à Paris en 1975]), Benedikt Eroféïev (Erofeev, né 1938-1990 ; Moskva-Petuški[Moscou-sur-vodka, Tel-Aviv, 1973]) et surtout le logicien Alexandre Zinoviev (Zinov'ev, 1922-2006) qui, dans Zijajuščievysoty(Les Hauteurs béantes, Lausanne, 1976) renouvelle le genre du dialogue philosophique...