ALEXANDRIE
Un carrefour artistique de l'Antiquité
Sur les rivages de la Méditerranée, à une trentaine de kilomètres à l'ouest de la branche la plus occidentale du Nil, Alexandre le Grand choisit d'installer en 331 avant notre ère une nouvelle cité grecque : fondation macédonienne, l'une des dix-sept cités appelées Alexandrie sur le parcours du conquérant dans sa grande marche vers l'Inde.
Alexandrie d'Égypte n'est certes pas, à l'inverse de ce qui s'est passé ailleurs, la nouvelle fondation officielle d'une cité grecque déjà existante : seul un village égyptien était installé à cet endroit, et il fut rapidement englobé dans les dimensions importantes que les architectes d'Alexandre puis de Ptolémée Ier allaient donner à cette nouvelle cité. Œuvre de Macédoniens, peuplée de Grecs venus de la vieille Grèce continentale et des terres d'Asie Mineure conquises par les armées macédoniennes, elle présente tous les traits caractéristiques d'une cité grecque avec ses monuments traditionnels : l'agora, le gymnase et les temples des divinités grecques, et, bientôt, le Sôma, tombeau du fondateur de la cité, dont la dépouille avait été récupérée de haute lutte par Ptolémée Ier, en 305 av. J.-C.
Ce caractère grec se traduit par une politique culturelle volontairement conservatrice de développement des valeurs grecques traditionnelles : le roi organise le Musée et la Bibliothèque où, selon la description satirique de Timon de Phlionte, des « échalas érudits se chamaillent sans fin dans la cage des Muses... » : on y collectionne les manuscrits d'auteurs grecs, on y collationne les différentes versions d'Homère pour établir un texte purifié, on joue dans les théâtres de la ville les pièces des dramaturges athéniens.
On reconnaît ces manifestations de la grécité dans le domaine de l'art : les nécropoles des premières générations sont ornées de stèles en marbre du Pentélique, œuvres de sculpteurs attiques qui évoquent le cimetière athénien du Céramique ; les stèles peintes représentent des cavaliers macédoniens dont la chlamyde flotte au vent, dans de savants raccourcis de trois quarts. Les hydries cinéraires sont importées de Crète, et les imitations locales des statuettes de terre cuite de Tanagra s'inspirent tellement des modèles de la vieille Grèce qu'on les attribue à des artistes béotiens installés à Alexandrie. On distingue mal les lampes et les vases à vernis noir de la vie quotidienne produits localement de leurs prototypes athéniens. L'architecture, tout du moins dans les pauvres restes qui ont échappé aux massives destructions du xixe siècle, n'évite pas cette tendance : la nécropole de Chatby (fin du ive s. et début du iiie s.) évoque des paysages d'Athènes, tandis que les monuments doriques de Mustapha Kamel (iiie s.) rappellent les tombes découvertes en Macédoine. Même chose dans l'art des bijoux et de la mosaïque : les parallèles sont à rechercher en Macédoine.
Depuis l'Époque archaïque, ce phénomène de mimétisme est bien connu : les colons cherchent à recréer l'image de la métropole, et les Alexandrins du début de l'époque hellénistique n'échappent pas à cette tradition ; dans l'Alexandrie des premières générations, les Grecs qui formaient le noyau des citoyens groupés autour de leur monarque s'efforcent de créer une ambiance familière, de poser les repères de leur monde, d'importer leurs modèles ou de les reproduire. Mais, bien vite, dans le cours du iiie siècle, et surtout à partir du siècle suivant, on assiste à l'émergence de nouvelles tendances, notamment sous l'influence des courants religieux : les dieux égyptiens étaient certes connus des Grecs depuis Hérodote, et dès la fin du ve siècle on avait ouvert un temple d'Isis[...]
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Écrit par
- André BERNAND : professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de Dijon
- Jean-Yves EMPEREUR : directeur de recherche au C.N.R.S., directeur du Centre d'études alexandrines
- Jean-Marc PROST-TOURNIER : agrégé de l'Université, professeur à l'Institut de géographie du Proche et Moyen-Orient, Beyrouth
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