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PISSEMSKI ALEXEÏ FEOFILAKTOVITCH (1820-1881)

Rejeton d'une vieille famille noble mais appauvrie de Kostroma, Pissemski est trop enraciné dans la vie provinciale (malgré des études à Moscou) pour partager les idées occidentalistes ; trop déclassé pour être solidaire des propriétaires terriens : il applaudit à la libération des serfs. Il connaît trop bien les défauts de son peuple pour l'idéaliser, d'où une certaine complaisance désabusée, une part de naturalisme, voire de cynisme dans ses œuvres. Mais sa force d'évocation l'apparente déjà au Tolstoï de La Puissance des ténèbres (Vlast' t'my) et au Bounine du Village (Derevnja) dans ses récits, Le Piterbourgeois (Piterščik, 1852), Le Sylvain (Lešyj, 1853), L'Artel des charpentiers (Plotnič'ja artel', 1855) ou son drame, Destin amer (Gor'kaja sud'bina, 1859). Il se situe dans le courant de littérature accusatrice, popularisée par Bielinski, et apparaît même comme un auteur radical, allié aux rédacteurs roturiers du Contemporain (Sovremennik) dans leur conflit avec les tenants de la culture nobiliaire, de l'art pour l'art. Lui aussi conteste les prétentions de la noblesse éclairée à une mission civilisatrice envers le peuple, à un monopole culturel. Dans ses œuvres, des nobles ruinés mentent, intriguent, vivent d'expédients, marchandent les beaux sentiments (amour, amitié), d'autres, trop veules, se contentent de discourir : être Un Homme de trop (Lišnij Čelovek) est devenu une simple mode. La condition féminine est une préoccupation constante, du Monde des boyards (Bojarščina, 1847), qui relate une expérience conjugale, à Dans le tourbillon (V vodovorote, 1871) où la libération de la femme est abordée de front.

Soucieux de contexte social, Pissemski glisse souvent dans le moralisme : ses personnages sont jugés d'après leur comportement à l'égard du peuple. Son meilleur roman Mille âmes (Tysjača duš, 1858), décrit la corruption au nom du confort dans la haute société. Kolinovitch, l'homme nouveau, égoïste éclairé, fait carrière pour la bonne cause : servir un État au-dessus des classes et faire respecter la loi : un idéal libéral, porté par le courant réformiste. Déjà réservée, l'opinion progressiste désavoue ses feuilletons : la satire des excès démocratiques (les écoles du dimanche, l'émancipation des femmes). Pissemski veut gagner Herzen à sa cause et le rencontre à Londres en 1862. Il échoue et publie un pamphlet, La Mer agitée (Vzbalamučennoe more, 1863) dans la revue conservatrice de Katkov Le Messager russe (Russkij Vestnik). Effrayé par l'agitation, hostile à toute violence, Pissemski se démode, son talent décline. Dans sa meilleure période, il a été l'observateur lucide de la province russe.

— Alexandre BOURMEYSTER

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Écrit par

  • : agrégé de l'Université, docteur ès lettres, maître de conférences à l'université de Grenoble-III

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Autres références

  • RUSSIE (Arts et culture) - La littérature

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    • 7 médias
    ...politique, illustré par le roman à thèse de Tchernychevski : Čto' delat' ? (Que faire ?, 1863) ou par les romans antinihilistes de Alekseï Pissemski (Pisemskij, 1821-1881) ou de Nicolas Leskov (1831-1895). Chez les grands romanciers, le choix d'un personnage contemporain représentatif de l'intelligentsia...