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KHOMIAKOV ALEXEÏ STEPANOVITCH (1804-1860)

La communion ecclésiale

Après la chute de Constantinople, le « vécu » orthodoxe, maintenu par la liturgie et la spiritualité, avait perdu cependant sa fécondité dans l'expression théologique. La situation change au cours de la première moitié du xixe siècle : le renouveau philocalique pénètre en Russie au moment où les intellectuels de ce pays trouvent dans le romantisme et l'idéalisme allemands l'incitation à une vie intérieure plus profonde. Ivan Kirievsky, ami et inspirateur de Khomiakov, touché par la grâce, se convertit et s'établit près du « désert » d'Optino pour éditer les traductions russes des Pères. Cette attitude a sans doute influencé Khomiakov. C'est dans l'esprit des Pères, c'est-à-dire en partant d'une « connaissance expérimentale de Dieu », qu'il approche le mystère de l'Église. Corps du Christ vivifié par l'Esprit, l'Église est un organisme de liberté et d'amour, et la communion ecclésiale illumine de l'intérieur la conscience personnelle. C'est pourquoi « l'Église n'est pas une autorité, de même que Dieu, ni le Christ n'en sont une, car l'autorité est un concept qui nous est extérieur, mais la vérité et, en même temps, la vie du chrétien, sa vie la plus intérieure ». Toutefois, l'homme n'entre dans cette évidence qu'en devenant, au-delà de ses « crispations » individuelles, une existence en communion : « Chacun de nous est de la terre, l'Église seule est du ciel » ; « seul l'amour mutuel a accès à la connaissance de la vérité », car « Dieu est amour ».

Cette libre communion, Khomiakov l'appelle en russe sobornost', « catholicité », au sens étymologique de l'expression καθ'ὅλον, « selon le tout » : la vérité est préservée par le tout du Corps du Christ.

Le magistère doit servir cette communion en coresponsabilité avec l'ensemble du peuple de Dieu dont la « réception » est toujours indispensable, notamment pour montrer que tel concile n'a pas été un « brigandage », mais exprime l'adhésion de toutes les consciences personnelles à une même vérité.

Si Rome a compromis la liberté au profit de l'unité, et la Réforme l'unité au profit de la liberté, leurs entreprises respectives ne s'enracinent pas moins dans le Christ, « plénitude réalisée » à laquelle participent aussi, même s'ils ne le savent pas, « ceux qui aiment la vérité, combattent contre la torture et l'esclavage, tentent d'améliorer la condition des travailleurs ».

Khomiakov développe une théorie de la connaissance inspirée de la notion biblique et hésychaste du « cœur-esprit ». Cette connaissance exige une double unification : celle de l'homme avec ses frères, dans « l'Église du Saint-Esprit », car seul l'amour « procure la connaissance de la vérité absolue » ; et celle de l'homme avec lui-même, car la véritable raison est fécondée par la volonté et par la foi, qui, dans sa forme première, est une connaissance-vie, une saisie immédiate de l'être. Cette exigence d'une connaissance intégrale, qui ne se sépare ni de la vie ni de l'amour, sera le leitmotiv de la philosophie russe.

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Écrit par

  • : agrégé de l'Université, professeur à l'Institut Saint-Serge de Paris

Classification

Autres références

  • SLAVOPHILES

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    • 1 216 mots

    Important courant de pensée sociale et politique russe, entre les années 1840 et 1860, le mouvement des slavophiles naît d'une querelle historique avec les occidentalistes. Ce terme d'occidentalistes (à l'origine un sobriquet) est toujours couplé avec celui de slavophiles, mais tous deux sont arbitraires...