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TOCQUEVILLE ALEXIS DE (1805-1859)

Liberté politique et volonté populaire

Alexis de Tocqueville, né à Paris, appartenait à la plus ancienne noblesse normande. Par sa grand-mère paternelle il descendait de Saint Louis, sa mère était la petite-fille de Malesherbes, le défenseur de Louis XVI. Arrêtés sous la Terreur, ses parents ne furent sauvés que par le 9 Thermidor ; l'échafaud avait cependant eu le temps de faire son œuvre dans sa parenté. Né aristocrate, il aurait eu quelques raisons de haïr cet égalitarisme dont il avait pu observer, en France, les prolongements sanglants, aux États-Unis les effets pernicieux. Pourtant sur cette « pente naturelle », comme il dit lui-même, il ne se laisse pas entraîner. Pourquoi défendre l'aristocratie ? Elle est détruite et « on ne s'attache fortement qu'à ce qui vit ». Quant à la démocratie, il faut l'admettre, car, dans la mesure où elle réalise l'égalité, elle est conforme au mouvement « le plus continu, le plus ancien et le plus permanent que l'on connaisse dans l'histoire ». Par conséquent, il ne s'agit pas de savoir si elle est avantageuse ou funeste à l'humanité, mais de l'observer « chez le peuple où elle a atteint le développement le plus complet et le plus paisible, afin d'en discerner clairement les conséquences naturelles et d'apercevoir s'il se peut, les moyens de la rendre profitable aux hommes ».

Ce moyen, ou mieux encore ce remède aux maux que peut engendrer la démocratie, c'est de renforcer son exigence de liberté contre sa perversion par excès d'égalitarisme. La volonté du peuple, soit ! mais pour la liberté. C'est par là que, chez Tocqueville, le libéral de conviction l'emporte sur le démocrate résigné. « Quand je refuse, écrit-il, d'obéir à une loi injuste, je ne dénie point à la majorité le droit de commander ; j'en appelle seulement de la souveraineté du genre humain. » Et, reprenant ce thème familier à Benjamin Constant, il ajoute : « La toute-puissance me semble en soi une chose mauvaise et dangereuse [...] Il n'y a donc pas, sur la terre, d' autorité si respectable en elle-même, ou revêtue d'un droit si sacré, que je voulusse laisser agir sans contrôle et dominer sans obstacles. Lors donc que je vois accorder le droit et la faculté de tout faire à une puissance quelconque, qu'on l'appelle « peuple » ou « roi », « démocratie » ou « aristocratie », qu'on l'exerce dans une monarchie ou dans une république, je dis : là est le germe de la tyrannie. » Mais comment concilier la liberté politique avec ce refus opposé à l'omnipotence de la volonté populaire ?

Il n'apparaît pas que l'originalité des remèdes réponde, chez Tocqueville, à la sûreté du diagnostic. Il croit cependant découvrir chez les Américains ceux dont il faut user : la décentralisation, la vitalité des libertés locales, l'association, l'indépendance de la presse, le respect des croyances religieuses. La décentralisation n'a pas seulement une valeur administrative ; elle a une portée civique puisqu'elle multiplie les occasions pour les citoyens de s'intéresser aux affaires publiques ; elle les accoutume à user de la liberté. Et de l'agglomération de ces libertés locales, actives et sourcilleuses, naît le plus efficace contrepoids aux prétentions du pouvoir central, fussent-elles étayées par l'anonymat de la volonté collective. Il en va de même des associations qui habituent les hommes à se passer du pouvoir. Leur pullulement aux États-Unis montre la confiance des individus dans une action commune qui peut être telle sans faire appel à l'État. L'énergie déployée dans l'association est autant de force soustraite aux gouvernants, autant d'indépendance opposée à leur emprise. Quant à la presse, sa fonction dans une démocratie est de faire entendre la voix spontanée[...]

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Écrit par

  • : professeur à la faculté de droit et des sciences économiques de Paris

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Alexis de Tocqueville (1805-1859) - crédits : A. Dagli Orti/ De Agostini/ Getty Images

Alexis de Tocqueville (1805-1859)

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