PIRON ALEXIS (1689-1773)
Quelque chose nuit à la réputation littéraire de Piron : pas seulement l'Ode à Priape, poème puissant dans le genre lubrique qui lui ferma à jamais les portes de l'Académie française ; avec son air facétieux de bonimenteur à la parade toujours entre deux vins, on a peine à le prendre au sérieux. Il y a en lui un fond de gauloiserie bachique capable de donner le change sur sa vraie nature : car il n'était rien moins qu'un terroriste des lettres. Bouffon intarissable, homme de verve et de mimiques, Piron le Dijonnais était digne de prendre place dans la galerie des figurants bourguignons du Neveu de Rameau, voire de camper le héros principal : n'avait-il pas jusqu'au parasitisme hâbleur, railleur, blasé, cynique et finalement déçu du titulaire du rôle, son compatriote Jean-François Rameau ? N'était-il pas dans son for intérieur, malgré ses frasques et ses incartades, complice de l'ordre établi ? Issu d'une souche de chansonniers, Piron a « chassé de race ». Grimm l'appelait « machine à saillies » et il déclarait lui-même qu'il éternuait trois ou quatre épigrammes tous les matins. Aura-t-on la cruauté de dire de ces éternuements que c'est ce qu'il a laissé de mieux derrière lui ? Ils ont réussi à indisposer Voltaire sur son piédestal. Il faut citer aussi La Métromanie (1738), son chef-d'œuvre au théâtre, où il fit une carrière honnête pour son temps. Le libertin converti finit dans la dévotion. À sa mort, il était démodé depuis vingt ans. Qui le lit encore ? Son épitaphe, réduite par ses soins à deux vers où transparaît un rêve d'honorabilité refoulé, a du moins survécu :
Ci-gît Piron, qui ne fut rien,
Pas même académicien.
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Écrit par
- Édouard GUITTON : professeur de littérature française à l'université de Rennes-II-Haute-Bretagne
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