MEINONG ALEXIUS VON (1853-1920)
Russell, lecteur de Meinong
Que faut-il entendre par objet ? Meinong écarte toute définition formelle par le genre et la différence (qui font ici défaut). Le terme, comme l'indique l'étymologie, se réfère plutôt aux expériences qui permettent d'appréhender ou de saisir l'objet, encore que ces Erlebnisse ne soient pas constitutives de l'objet. Dans la mesure où tous les objets doivent être appréhendés pour être connus, ce qui est appréhendé est identique à l'objet, mais ce qui est appréhendé peut être pensé comme tel ou il peut être pensé comme objet. Dans le premier cas, on pense avec l'objet la relation par laquelle le sujet l'appréhende, mais cette relation n'est nullement contenue dans la pensée de l'objet et n'appartient pas à sa nature. Le fait que l'objet peut être appréhendé par un sujet en fait un objet appréhendé, mais ne le constitue pas comme objet. Il peut y avoir objet sans qu'il y ait appréhension ; de même, il peut ne pas y avoir objet alors qu'il y a appréhension. Meinong est toujours attentif à distinguer deux types de recherches, celle qui porte sur l'appréhension des objets, et la considération de l'objet en lui-même.
Il reste qu'on peut déterminer en quelque sorte la notion de l'objet comme tel, selon le point de vue de l'appréhension : la classification des objets dépendra de celle des principaux types d'expérience subjective qui permettent de les saisir. Les objets de la représentation sont des choses particulières, et leurs qualités, qui ont pour être l'existence, les relations et les complexes relationnels dont l'être est la subsistance (Bestand). Les objets de la pensée, on l'a vu, sont appelés « objectifs ». Ils subsistent quand ils sont des faits. Aux sentiments correspondent des Dignitative, tels que l'agréable, le beau et le bien, et aux désirs des Desiderative, tels que les normes. Signalons deux thèses de la théorie des objets, qui sont fondamentales et qui furent particulièrement discutées par les philosophes anglo-saxons.
Ainsi, Meinong énonce que la totalité des objets comprend des objets de type et de mode d'être très divers. De ce point de vue, la première division comprend trois classes : les objets qui existent (un arbre) ; ceux qui subsistent, c'est-à-dire qui sont réels sans pour autant exister (les nombres, la différence entre rouge et vert) ; ceux qui n'existent ni ne subsistent, tels que les fictions ou les êtres de raison (parmi ces derniers, Meinong range les objectifs faux). C'est sur ce point que Russell fera porter sa critique en 1904. Remaniant lui-même la théorie de ces objets, il convainc Meinong de psychologisme et renverse les rapports entre la logique et la psychologie.
La seconde thèse part de l'idée que tout objet, qu'il existe ou non, a nécessairement une nature ou essence qui lui permet de devenir le sujet d'un jugement correct de prédication. La montagne d'or est d'or et elle est une montagne, bien qu'elle n'existe ni ne subsiste. L'« être-ainsi » de tout objet est indépendant de son être. Cependant, l'inverse n'est pas vrai. Un cercle carré a bien un être-ainsi (Sosein), mais, dans la mesure où celui-ci est contradictoire, il prive l'objet de son être (Sein). Parmi ces objets dits « purs », indifférents à l'être (Daseinsfrei), Meinong va distinguer, cette fois du point de vue de leur nature, les objets impossibles dont le Sosein paraît violer le principe de non-contradiction (le cercle carré est à la fois rond et carré), les objets possibles ou « incomplets » dont le Sosein viole le principe du tiers exclu (la montagne d'or n'est ni plus haute ni moins haute que le mont Blanc).
Russell a présenté dans On Denoting sa « théorie des descriptions » comme une réfutation[...]
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Écrit par
- Francis JACQUES : professeur à l'université de Rennes
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