SJÖBERG ALF (1903-1980)
Né à Stockholm, Alf Sjöberg occupe une place importante dans l'histoire du cinéma suédois. Succédant aux grands noms du muet : Sjöstrom, Stiller, et précédant Ingmar Bergman, il fut, pendant dix ans, le seul cinéaste suédois de réputation internationale.
La carrière et la vie de Sjöberg sont indissolublement liées à un théâtre : le Théâtre royal dramatique de Stockholm. En cinquante ans de théâtre, Sjöberg monta une centaine de pièces de Shakespeare, Molière, Ibsen, Strindberg bien sûr, mais aussi d'auteurs inconnus du public suédois tels que Sartre, Arthur Miller ou Giraudoux.
Ses recherches théâtrales subissent très tôt l'influence de son travail au cinéma. Dès 1929, après avoir vu les films d'Eisenstein, il réalise Den Starkaste (Le Plus Fort). Mais, paradoxalement, l'arrivée du « parlant » va éloigner des écrans cet homme de théâtre. Ce n'est que bien plus tard qu'il entame véritablement sa carrière cinématographique avec Med Livet som insats (Avec la vie pour enjeu), 1940 ; Den Blomstertid (Ce temps de floraison), 1940 ; Hem fran Babylon (Retour de Babylone), 1941, avant de s'affirmer avec Himlaspelet (Le Chemin du ciel), 1942, adapté d'une pièce de Rune Lindstrom. Transposé chez les paysans de Dalécarlie au xixe siècle, c'est le thème biblique de la quête : un jeune homme erre à la recherche de Dieu pour lui demander des comptes sur l'injustice des hommes. Proche du conte médiéval où se mêlent le sacré et le profane, Alf Sjöberg y impose son style : lyrique et généreux.
En 1944, après l'intermède divertissant de Kungajakt (La Chasse royale), Hets (Tourments), 1944, marque un tournant décisif de sa carrière. Le scénariste en est Ingmar Bergman. Dans un climat oppressant, fortement imprégné d'idées freudiennes, Sjöberg manifeste son angoisse devant les forces maléfiques qui sommeillent dans toute société. Elles sont ici personnifiées par un professeur de latin. Véritable incarnation du mal, Caligula conduit à la déchéance, puis à la mort, une jeune prostituée qu'il tient sous son emprise. Il sera finalement démasqué mais ce dénouement n'atténue pas le pessimisme profond du film. Parmi les raisons du succès qu'il remporte, il y a le contexte de l'époque : on identifia aisément Caligula à Hitler.
Dans la plupart des films qui suivent, Sjöberg continue d'exprimer ses préoccupations sociales et morales : Resan bort (Voyage au loin), 1945 ; Iris och pojtnanshjarta (Iris et le cœur du lieutenant), 1946, et surtout Bara en mor (Rien qu'une mère), 1949, mélodrame paysan d'après le roman de Lo Johansson. En 1950, c'est Froken Julie, son chef-d'œuvre qui obtint la Palme d'or au festival de Cannes en 1951. Le drame d'August Strindberg se déroule pendant la nuit de la Saint-Jean : une jeune comtesse se donne à son valet et se suicide au matin. C'est un film étouffant et sensuel, une nuit d'été qui n'en finit pas. Les tabous sont défiés, et le choc de deux « mondes » conduit à la folie et à la mort. L'intelligence de l'adaptation, l'interprétation exceptionnelle d'Anita Bjork, le raffinement et la violence de la mise en scène font de Mademoiselle Julie un des sommets du cinéma baroque scandinave.
Sjöberg ne connaîtra plus pareille réussite. Après l'échec de Barabbas (1953), il tourne Karin Mansdotter (1954) d'après Eric XIV de Strindberg et Vidfaglar (Les Oiseaux sauvages), 1955. Il poursuit sa réflexion sur la violence faite aux individus qui transgressent les principes de leur classe. Dans Sista paret ut (Le Dernier Couple qui court), 1956, sur un nouveau scénario d'Ingmar Bergman, une fille et un garçon s'unissent dans un même refus d'un monde sans âme. Ils rejoignent les principaux personnages de Sjöberg, tous animés d'une même soif d'absolu. Il[...]
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Écrit par
- Pierre BEUCHOT : cinéaste, réalisateur et producteur de télévision
Classification
Média