BRENDEL ALFRED (1931- )
L'essor discographique
En 1951, Brendel enregistre, pour un petit label aujourd'hui disparu, S.P.A. (Society of Participating Artists), son premier disque, consacré au Weihnachtsbaum (« L'Arbre de Noël ») de Franz Liszt. C'est le début de l'incroyable aventure discographique de l'un des pianistes les plus enregistrés de l'histoire. Pour S.P.A., il gravera ensuite des disques aussi originaux, où l'on retrouve un Beethoven et un Richard Strauss méconnus. Après un enregistrement de la Fantasia contrappuntistica de Busoni pour The Record Society, Brendel signe en 1955 son premier contrat d'exclusivité avec le label américain Vox ; jusqu'à la fin des années 1950, il joue Liszt, Haydn et Mozart, mais aussi Bartók, Prokofiev, Stravinski et, avec Walter Klien, des pièces pour piano à quatre mains de Brahms et de Dvořák. Il reste chez Vox – où il devient au début des années 1960 le premier pianiste à enregistrer une quasi-intégrale de l'œuvre pour piano de Beethoven – jusqu'en 1967, année où il signe un contrat avec Vanguard, qu'il quittera pour Philips (devenu Polygram puis Universal) en 1970.
Dès ses débuts, l'étendue de son répertoire et la sûreté de ses choix sont particulièrement remarquables. Très vite, Alfred Brendel écarte définitivement des compositeurs – Rachmaninov, Fauré, Debussy, Ravel, notamment – qui ne correspondent manifestement ni à son tempérament ni à son univers poétique, mais montre néanmoins une audace et une ouverture d'esprit rares. Il attaque Beethoven par de très méconnues variations (sur Kind, willst du ruhig schlafen, WoO 75 ; 15 Eroica Variations, opus 35), Liszt à la fois par des transcriptions, les Réminiscences longtemps dédaignées et par les œuvres ultimes, quasi atonales. En public – et au disque, mais il préfère l'enregistrement sur le vif à l'aseptisation des studios –, il se fait le défenseur de l'épineux Concerto pour piano d'Arnold Schönberg, qu'il enregistre pour la première fois le 5 novembre 1973 sous la direction de Bruno Maderna. Peu à peu cependant le catalogue de ses auteurs préférés va se concentrer autour de quelques noms : Mozart et ses concertos, qu'il dirige parfois du piano – où il montre une impressionnante maîtrise mais, sans doute aussi, un sérieux et une rigueur excessifs – ou avec Neville Marriner à la tête de l'Academy of St Martin-in-the-Fields, Haydn, dont il est avec Sviatoslav Richter l'un des plus ardents et irrésistibles avocats des sonates pour piano. Schubert – les Danses allemandes, D 783 et D 790, les Impromptus, D 899 et D 935, les Moments musicaux, la Wandererfantasie, les sonates no 14 à 21... – est sans cesse revisité avec une acuité et un sens dramatique bouleversants. De Liszt, dont il pratique les œuvres les moins fréquentées, il ne retient plus, au fil du temps, que quelques pages, parmi lesquelles l'illustre Sonate, qu'il interroge inlassablement et dont il tente de percer le secret. Il faut ajouter des œuvres de Brahms (le Deuxième Concerto pour piano avec Claudio Abbado et l'Orchestre philharmonique de Berlin) et de Weber (Konzertstück, avec Abbado et l'Orchestre symphonique de Londres).
Mais Alfred Brendel est avant tout l'un des plus émouvants beethovéniens de l'après-guerre. Par trois fois – pour Vox (1957-1963) et pour Philips (1970-1977 puis 1991-1995) – il a enregistré l'intégrale de ses sonates pour piano, égalant les plus grands de ses prédécesseurs. Et il a gravé à quatre reprises – avec Heinz Wallberg et Zubin Mehta (1967), Bernard Haitink (1976), Joseph Levine (1983) et Simon Rattle (1998) – l'ensemble des cinq concertos pour piano. Sur ce terrain, rares sont les pianistes qui peuvent respirer à sa hauteur : construction granitique, scrupuleux respect du texte, aussi[...]
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Écrit par
- Pierre BRETON : musicographe
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