VIGNY ALFRED DE (1797-1863)
Le poète de « L'Esprit pur »
Avant de quitter ce monde, qu'il comparait à une prison, le solitaire du Maine-Giraud reçut la consolation d'un dernier amour. Il venait de dépasser la soixantaine. Alors qu'il soignait Lydia avec le dévouement d'un « frère hospitalier » et qu'il commençait à souffrir lui-même d'un cancer, il obtint les faveurs d'une jeune préceptrice, rencontrée peut-être dans le salon de Louise Colet, Augusta Bouvard. En la personne de sa compagne il reconnut l'Eva de ses rêveries. Mais il fallut bientôt lui dire adieu. Vigny mourut à Paris le 17 septembre, moins d'un mois après Lydia, dont il n'avait pas eu de descendance. Le 28 octobre, Augusta mit au monde un fils auquel certains vers de « L'Esprit pur », achevé le 10 mars, semblaient destinés :
Jeune postérité d'un vivant qui vous aime !Mes traits dans vos regards ne sont pas effacés ;Je peux en ce miroir me connaître moi-même.
Vigny laissait, entre les mains de son exécuteur testamentaire, Louis Ratisbonne, et de sa filleule, Louise Lachaud, née Ancelot, de nombreux et précieux inédits. La publication des Destinées (1864), du Journal d'un poète (1867), de Daphné (1913) et des Mémoires inédits (1958) permit de percer le secret d'un long silence qui n'avait été interrompu que par la publication, dans La Revue des Deux Mondes, de quelques « poèmes philosophiques » : « La Sauvage », « La Mort du loup » et « La Flûte » (1843), « Le Mont des Oliviers » et « La Maison du Berger » (1844), « La Bouteille à la mer » (1854). Il apparaît aujourd'hui que la retraite au Maine-Giraud ne cachait ni une démission de l'homme ni une défaillance de l'artiste. Le Journal retrace toute l'évolution intime du solitaire, depuis la dernière prière au Dieu de la Bible, le 21 décembre 1837, devant la dépouille d'une mère vénérée, jusqu'à l'annonce du règne de l'Esprit pur (mars 1863), en passant par les détours d'une méditation persévérante sur la fonction des rites, des idoles et des signes. Au cours de sa recherche, Vigny s'identifia, d'abord, à Julien l'Apostat, spiritualiste malheureux, vaincu par les barbares adorateurs de la Croix. Mais, au moment même où il relatait, dans Daphné, achevé dès 1837, la défaite de son héros, il convenait, dans le Journal, qu'« une religion sans culte serait comme un amour sans caresses » et que « l'image soutient l'âme dans l'adoration comme le chiffre dans le calcul ». Il se mit donc en quête, sans transiger avec son refus de l'idolâtrie, des symboles qui pourraient envelopper le trésor de l'Esprit d'un « cristal préservateur ». C'est ainsi qu'il inventa, à défaut d'une religion épurée, une poésie nouvelle, dépouillée de l'éloquence ou du pittoresque de ses premiers chants. Rare, parfois austère, elle s'anime dans le chef-d'œuvre des Destinées, « La Maison du Berger » ; elle s'y concentre aussi dans des formules qui la définissent :
Poésie ! Ô trésor ! perle de la pensée !Ô toi des vrais penseurs impérissable amour !
Qui contesterait l'heureux résultat de l'ascèse que Vigny s'imposa ? Plusieurs des symboles qu'il chargea de « profondes pensées » : la Mort du loup, la Maison du Berger, la Bouteille à la mer, figurent dans la fable moderne. Le vœu formé par le poète de « L'Esprit pur » dans les derniers vers qu'il trouva la force de scander s'est accompli :
Flots d'amis renaissants ! Puissent mes destinées Vous amener à moi, de dix en dix années, Attentifs à mon œuvre, et pour moi c'est assez !
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Écrit par
- Paul VIALLANEIX : ancien élève de l'École normale supérieure, docteur ès lettres, directeur du centre de recherches révolutionnaires et romantiques, professeur de littérature française à l'université de Clermont-II
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