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DÖBLIN ALFRED (1878-1957)

Une œuvre plurielle

Dès que la guerre prend fin, Alfred Döblin souhaite revenir en Europe. De Los Angeles il s'adresse à un germaniste ami, Ernest Tonnelat. Ce dernier lui suggère la possibilité d'un poste officiel en Allemagne, dans la zone placée sous administration française. Les époux Döblin rentrent alors à Paris. Et notre écrivain se retrouve le 9 novembre 1945 officier « culturel » français à Baden-Baden, chargé du contrôle des projets de publication des Allemands. À Baden-Baden, plus tard à Mayence, il est confronté à une Allemagne qu'il ne comprend plus. Tout en continuant d'écrire (c'est à Baden-Baden qu'il termine son dernier roman, Hamlet ou la longue nuit prend fin), en lançant même en septembre 1946 une revue, Das Goldene Tor [La Porte d'or], qui publiera trente-sept numéros, il déplore le sort de ses livres, non réimprimés ou peu disponibles en librairie. Effectivement, quand il meurt, en juin 1957, dans une clinique de Forêt-Noire, atteint depuis 1951 de la maladie de Parkinson, il n'est guère plus lu. Döblin attribuait cette situation à l'apathie d'un public conditionné par la dictature nazie. Mais l'originalité déroutante de son œuvre n'est pas non plus pour rien dans les réticences à un accueil des plus larges. En 1948, Voyage au gré du destin, dans le récit où il raconte son existence depuis la débâcle de 1940 en France et son départ aux États-Unis, il se présente avec raison comme un auteur qui n'a cessé de combattre « les rhéteurs, les traditionalistes vains et affectés, les imitateurs et les parasites qui vivent du bien d'autrui ».

Tous les livres d'Alfred Döblin sont fondés sur le postulat que l'expression littéraire suppose une aventure intellectuelle et exige une mise en cause des conventions. Sous cet aspect, la renommée de Berlin Alexanderplatz écrase exagérément ses autres romans. Certes, c'est ce livre-ci qui met en avant le plus systématiquement l'innovation esthétique avec le procédé du montage, aboutissant à l'enchevêtrement, au récit du narrateur, de textes « pré-écrits » : annonces publicitaires, chansons, articles de journaux, relevés administratifs. Mais dès le Rideau noir, rédigé en 1902-1903 et publié en 1919 seulement, Döblin s'essaie à mélanger tous les styles – descriptions, dialogues, élans lyriques. Il utilise tantôt un mode objectif de narration, et tantôt le recours au personnage principal, Johannes, qui relate à la première personne ce qui lui arrive ou les pensées qui le traversent.

Voyage babylonien (1934), qui fait redescendre sur terre un ancien dieu chaldéen, Marduk, rebaptisé Conrad pour l'occasion, est un conte, avec les fantaisies et les invraisemblances du genre, charriant toutes les formes possibles du comique. Un an plus tard, Pas de pardon !, articulé sur l'histoire d'une famille, récupère le mode narratif propre aux auteurs réalistes du xixe siècle. Amazonas (1937-1938), deux volumes inspirés par les péripéties que connurent les Jésuites au Paraguay aux xvie et xviie siècles, renoue avec l'épopée comme véhicule des mythes et des certitudes philosophiques. Dans l'après-guerre, les trois derniers tomes de Novembre 1918. Une révolution allemande (1948-1950) et Hamlet, ou la longue nuit prend fin (1956) puisent leur matériau dans les aléas tragiques de l'Histoire.

De cette diversité de sujets et de styles se dégage tout de même quelques invariants qui caractérisent l'art romanesque de Döblin : jubilation à jouer avec les mots, expérimentation de tous les registres d'expression, puissance de l'ironie utilisée comme un moyen de distance critique. Au nom de quoi ? La question que l'écrivain se pose, a-t-il indiqué en 1930, n'est jamais que celle du destin de « l'individu » au sein du « grand collectif ». Quels que soient les décors et[...]

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Alfred Döblin - crédits : Ullstein bild/ Getty Images

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