GILBERT ALFRED (1854-1934)
Sculpteur anglais au talent très personnel, Alfred Gilbert sut enrichir la sculpture des particularités thématiques et stylistiques propres au mouvement des Arts décoratifs tout-puissant en Angleterre à la fin du xixe siècle. L'œuvre de Gilbert est d'autant plus remarquable qu'elle s'inscrit dans la production d'une génération européenne de sculpteurs fortement soumis à l'art de Rodin et qu'elle ne doit rien à l'esthétique du sculpteur français.
Les débuts de Gilbert furent traditionnels, bien qu'ouverts aux intérêts artistiques des milieux internationaux : il se forme à Londres, sagement, à l'Académie royale avec Boehm, puis pendant quelques années à Paris, à l'École des beaux-arts où il travaille avec Cavelier et Frémiet, et enfin en Italie ; il résidera six ans à Rome et à Florence. Là, il découvre la sculpture de la Renaissance italienne et plus particulièrement les grands bronzes maniéristes florentins à socles ornementés. Icare (musée de Wales, Cardiff), une grande cire perdue dont il dirigea la fonte et qui fit grand bruit lorsqu'elle fut exposée à Londres en 1884, est en quelque sorte le manifeste de sa conception de la figure isolée : il y restera fidèle. Œuvre à résonance symbolique, tout porte à la croire autobiographique. Elle dénote une complaisance dans la représentation du nu masculin. Gilbert y applique un canon étiré, refuse les aplombs sages et ménage dans l'espace des effets inattendus de parties qu'on dirait rapportables. L'exécution du modelé est serrée, établissant une écriture anatomique incisive que Gilbert fera sienne désormais. Le métal, dès lors, devient pour lui le matériau exclusif de la sculpture.
Entre 1885 et 1932, le mécénat anglais privé et public offrit à Gilbert la possibilité de mener à leur terme nombre de monuments de grandes dimensions. C'est dans ce genre qu'il donna la mesure de son art. Les plus remarquables sont le Monument Shaftesbury (Londres), le Tombeau du duc de Clarence (château de Windsor) et le Monument à la reine Alexandra (Marlborough Gate, Londres). Ce genre permit d'abord à Gilbert de développer une conception architectonique de la sculpture : l'ensemble monumental est traité comme une vaste structure décorative dense et fermée, dans laquelle la figure n'est qu'une partie de la forme architecturale, elle-même sculptée, qui l'enserre. Avec les théoriciens de son temps, il redécouvre l'esthétique des ensembles sculptés du Moyen Âge et de la Renaissance dans lesquels dominent les jeux de lignes et les grands effets de pleins et de vides. Toutefois, Gilbert crée un vocabulaire thématique et ornemental original : l'iconographie de ses œuvres est souvent énigmatique ; en cela son invention va de pair avec les raffinements conceptuels du mouvement symboliste. Il est seul toutefois en son temps à développer une stylistique ornementale le plus souvent polychrome d'une délicatesse extrême, soit à l'échelle monumentale, soit à celle de la figurine. Passionné d'orfèvrerie, il créa de nombreux bijoux. Gilbert, plus qu'aucun autre sculpteur de sa génération, intégra de façon heureuse dans ses monuments des figures et figurines créées dans des matières rares (ivoire, aluminium, cristaux, coquillages, pierres précieuses, émaux) à l'aide de techniques inusitées. La diversité qu'il déploie dans le maniement d'images et de procédés nouveaux rend son art unique.
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Écrit par
- Jacques de CASO : professeur émérite à l'université de Californie, Berkeley (États-Unis)
Classification
Média