LOISY ALFRED (1857-1940)
Deux traits caractérisent l'image habituellement reçue d'Alfred Loisy : une spécialisation professionnelle – c'était un exégète, aux positions singulièrement critiques ; un rôle historique, circonscrit et conjoncturel – protagoniste de la crise moderniste, il semble rentrer dans l'obscurité après l'encyclique Pascendi et son excommunication nominative. Ces aspects ne sont pas accessoires, le second surtout, mais ils ne suffisent pas à rendre compte d'une personnalité complexe et d'une œuvre importante.
On s'attachera ici à dégager ce qui paraît le plus fondamental : Loisy a voulu proposer une philosophie religieuse, ou, si l'on préfère, une lecture religieuse de l'histoire, dont les thèmes, largement ébauchés pendant la période où il appartenait à l'Église, se sont précisés et, en quelque sorte, décantés au cours de la trentaine d'années (1908-1940) de travail solitaire, phase sans doute la plus féconde de sa longue et laborieuse existence.
Loisy dans l'Église : la première synthèse
Petit paysan champenois (il est né à Ambrières), trop chétif pour les travaux de la terre, intelligent et pieux, Alfred Loisy s'oriente assez naturellement vers une carrière ecclésiastique. Au sortir du grand séminaire, il est envoyé par son évêque à l'Institut catholique de Paris, qui vient d'être fondé en 1876, pour y préparer une licence de théologie. Il s'était déjà initié à l'hébreu, avec assez de succès pour qu'on lui donnât presque aussitôt la charge de répétiteur de ses condisciples. À l'enseignement des langues orientales il ajoute bientôt celui de l'Écriture sainte et de l'exégèse. Ses premières publications, le ton de ses cours suscitent des méfiances vigilantes. À l'issue d'une série de conflits, il est contraint de démissionner (1893).
L'archevêque de Paris lui assigne alors une fonction obscure : l'aumônerie d'un pensionnat à Neuilly. En fait, libéré des exigences d'un enseignement très spécialisé, préparant ses catéchismes et ses instructions avec ce sérieux qu'il apportait à toute chose, il est amené à prendre du recul et à mettre au clair sa pensée sur le problème religieux. Déjà s'affirment les positions sur lesquelles il combattra jusqu'à son excommunication et sans doute au-delà. S'il n'accepte plus à la lettre, telle qu'on la comprenait alors, « aucun article du symbole catholique, si ce n'est que Jésus-Christ avait été crucifié sous Ponce Pilate », la religion lui apparaît comme la force immense qui domine l'histoire de l'humanité et représente à peu près toute la vie morale du genre humain. « L'Église catholique était la mère des peuples européens ; reine bien déchue, mais influente encore, elle demeurait maîtresse de son avenir ; si elle savait parler aux peuples, nulle puissance adverse ne pourrait lutter contre elle. »
Ces réflexions aboutissent à un gros manuscrit, rédigé en 1898-1899, et qui s'intitule : La Crise de la foi dans le temps présent. Il restera inédit, mais Loisy, pendant les années suivantes, exploitera cette mine pour en extraire quelques-uns de ses articles marquants et la substance de ses deux ouvrages décisifs, L'Évangile et l'Église (1902) et Autour d'un petit livre (1903). On peut donc considérer que la première synthèse de sa pensée est dès lors établie.
L'axe en était un effort pour situer le fait religieux et, plus précisément, le rôle passé et à venir du christianisme dans l'histoire de l'humanité, compte tenu des données de la critique. La religion apparaît comme le moteur de l'évolution humaine, dans l'ordre intellectuel, dans l'ordre esthétique et aussi dans l'ordre social. Cette dimension sociale lui est essentielle : même dans ses formes les[...]
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Écrit par
- Émile GOICHOT : agrégé de l'Université, docteur ès lettres, professeur à l'université des sciences humaines de Strasbourg
Classification
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