LOISY ALFRED (1857-1940)
À la recherche d'une « religion de l'humanité »
La dernière période est celle d'une lente reconstruction. Les fondations en restent stables, si la perspective apparaît différente. Loisy cherchait auparavant, de l'intérieur de l'Église, une présentation acceptable pour elle ; il devait formuler sa philosophie religieuse dans un langage « chrétien ». Estimant désormais que l'Église de son temps fait défaut à sa mission historique, il s'adresse à l'humanité, convaincu qu'elle a un besoin plus urgent que jamais d'une religion, mais affranchie des confessions existantes, des constructions dogmatiques comme des impérialismes cléricaux. D'où un intérêt marqué pour la dimension politique (au sens le plus large) des problèmes, qui, sans être entièrement nouveau dans ses préoccupations, apparaît pour la première fois dans ses œuvres. Parce qu'il s'est toujours montré allergique à un certain jargon philosophique, parce qu'il croit, d'autre part, que l'essentiel du fait religieux est dans sa réalité vécue et que la religion a pour mission d'aider les humbles à mieux vivre et l'humanité à surmonter ses crises, il emploie volontiers un vocabulaire moralisant qui a pu prêter à contresens. Cette « religion de l'humanité » qu'il préconisait ne voulait pas diviniser le genre humain, mais l'inviter à découvrir une religion « qui serait capable de rassembler tous les hommes dans un commun idéal et une commune adoration ».
Incurablement sceptique à l'égard des spéculations métaphysiques comme des prétentions du rationalisme à épuiser le mystère de l'univers et de la destinée, il continue d'affirmer que le même principe spirituel engendre le sentiment religieux, la morale, le sens de la solidarité humaine, qu'il est « le support de tous les arts, la source de l'inspiration poétique et de toutes les activités esthétiques ». Mais s'il faut choisir l'aspect vraiment originel, Loisy n'hésite pas à privilégier le mysticisme, dont l'essence se ramène au sacrifice de soi, « l'acte religieux par excellence, d'autant plus religieux qu'il est conscient et volontairement consenti ». En lui se manifeste l'amour désintéressé, le pur amour où il voit, avec son ami Bremond, le message de tous les mystiques, avocats du « christianisme essentiel » et précurseurs de « la religion à venir ». La conscience humaine affirme le plus religieux respect qu'elle puisse avoir de sa propre dignité en se soumettant à une réalité qui la dépasse.
C'est donc bien une foi que confesse Loisy, avec ce que ce terme engage de risque personnel, de choix existentiel au-delà de la stricte démonstration logique, en affirmant que « l'Esprit est, au fond, la grande loi du monde et, avec l'Esprit, la justice et l'amour ». Est-ce « une force qui se cherche elle-même » à tâtons dans les ténèbres de l'histoire humaine et qui n'arrive jamais qu'à une conscience fort incomplète, ou « un être actuellement et éternellement parfait » ? Les derniers textes apportent des précisions essentielles. Ce n'est pas Dieu lui-même, mais sa révélation qui « dans l'économie de notre monde n'a jamais été, n'est pas actuellement et ne sera jamais parfaite ». Cependant, « Dieu existe, c'est-à-dire un Être au-dessus de tous les êtres, un Esprit au-dessus de tous les esprits ». Mais tout discours sur Lui, inévitable sans doute pour « le bon gouvernement de notre vie », est en même temps inconsciemment blasphématoire et perpétuellement à reprendre. Déjà, dans une lettre de 1917, tout en affirmant l'existence d'une réalité transcendante, il manifestait son intention de « construire sa religion morale sans métaphysique, sans une doctrine explicite de cette transcendance qui nous échappe,[...]
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Écrit par
- Émile GOICHOT : agrégé de l'Université, docteur ès lettres, professeur à l'université des sciences humaines de Strasbourg
Classification
Autres références
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