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KROEBER ALFRED LOUIS (1876-1960)

Le concept de culture

Alfred Louis Kroeber n'a pas proposé de théorie ou de méthodologie systématique, ni fondé d'« école », ce qui rend difficile un exposé de sa contribution scientifique. Quelques grands thèmes en font cependant l'unité. Tout d'abord, il a toujours défendu la thèse des « niveaux » ou des « ordres » parmi les phénomènes naturels, suivant laquelle chaque niveau a une organisation particulière de ses éléments constituants ; les phénomènes vitaux, par exemple, sont apparus à partir d'une existence inorganique antérieure. Une telle apparition ne signifie pas que les processus physiques ou chimiques sont annulés, mais que de nouvelles organisations se constituent à ce niveau sans aboutir à un isolement complet. La culture, « domaine central de l'anthropologie » selon Kroeber, est un de ces niveaux, le plus élevé. Dès 1917, Kroeber soutenait cette doctrine du « superorganique » dans un article de la revue American Anthropologist. Certes, Kroeber partage cette théorie centrale sur la nature de la culture avec plusieurs autres grands fondateurs de l'anthropologie, Spencer, Tylor, Boas même. Mais il est celui qui a essayé d'en tirer le plus systématiquement toutes les conséquences. Il s'est défendu par la suite de vouloir réifier un ordre de phénomènes. Pour lui la valeur de ce concept est en grande partie méthodologique. Chaque culture constitue une organisation originale et complexe qui, au cours de son développement, tend à absorber de nouveaux éléments et à les ordonner suivant ses propres modèles. Les cultures sont donc des systèmes, car leurs variables sont interdépendantes, mais des systèmes largement conditionnés par leur propre passé. La méthode la plus fructueuse pour leur étude sera la méthode historique au sens large, une histoire totale, holistique, des régions et des périodes, qui tienne compte de l'archéologie et de la préhistoire. Les descriptions obtenues forment un ensemble de profils de développements culturels qui ne suivent pas, comme chez Spengler, un cycle de naissance et de mort, mais atteignent des sortes de « sommets » et tendent à se grouper durant de brèves périodes de l'histoire d'une civilisation. C'est l'existence de ces sommets (« climax » dans sa terminologie) que Kroeber met au jour dans son livre Configurations of Culture Growth.

L'originalité de l'entreprise de Kroeber réside ainsi dans ce puissant effort pour conjuguer, suivant ses propres termes, les méthodes « microscopiques et télescopiques », c'est-à-dire, d'une part, le point de vue macrodynamique qui souligne l'importance du facteur temps, s'occupe de longues périodes et lie l'anthropologie à l'évolution biologique et à l'historiographie, d'autre part, le point de vue microdynamique de l'ethnographie et de l'histoire à court terme. Dans sa célèbre recherche sur les variations de la mode féminine pendant une période de trois siècles, il se sert de méthodes mathématiques quantitatives rigoureuses pour montrer que la culture change selon ses propres tendances. Les études linguistiques aussi – et c'est ce qui explique l'attention soutenue que leur a accordée Kroeber – constituaient pour lui un domaine privilégié et une sorte de modèle pour la conception « supra-organique » de la culture : en effet les formes linguistiques ne peuvent pas être expliquées par des processus psychologiques qui se réaliseraient grâce à des individus particuliers. Mais Kroeber s'est aussi livré toute sa vie à des études minutieuses sur les Indiens de Californie et sur la distribution des traits naturels en Amérique du Nord.

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