TENNYSON ALFRED (1809-1892)
Alfred Tennyson est sans conteste la figure majeure de la poésie victorienne. Browning, plus complexe, plus difficile, reste son brillant second. De 1850 à 1892, lord Tennyson fut le porte-parole officiel de la nation britannique ; la reine Victoria et tous les personnages importants : savants, philosophes, romanciers, hommes politiques et poètes, voulurent s'honorer de son amitié. On l'admira ; on vit en lui le noble et hautain vieillard qui vaticinait et conseillait. Tous se soumettaient à l'émouvante magie de ses vers. Après sa mort et jusqu'à 1930 environ il fut de bon ton de démolir la statue. On ironisa sur les manies, les poses du poète à la haute silhouette ; on moqua son sentimentalisme et la médiocrité de sa pensée. Aujourd'hui le dénigrement a cessé et Tennyson a retrouvé droit de cité. T. S. Eliot l'a loué pour « son abondance, sa variété, sa totale maîtrise ». On sait reconnaître en lui le précurseur ou l'annonciateur de nos maîtres à penser anglo-saxons : Yeats, Joyce, Huxley, Eliot. Son inquiétude spirituelle, au cœur d'une époque qui fut déchirée par le conflit de la science et de la religion chrétienne, nous touche par sa vérité et le douloureux tiraillement entre la foi et le doute. Confiant en l'orthodoxie victorienne, prônant vertu et courage, mais tourmenté par les sombres appels du cœur et du désespoir, l'ambiguïté de son tempérament le rend proche de nous. Quant à la musique de ses poèmes, elle est celle d'un homme qui posséda, selon W. H. Auden, l'oreille la plus délicate de tous les poètes anglais. À ce seul titre, il mériterait l'audience qu'il a retrouvée.
Les frustrations d'une lente maturité
Alfred Tennyson naquit au presbytère de Somersby, comté de Lincoln, quatrième des douze enfants du révérend Charles Tennyson. La mère, très pieuse, eut jusqu'à sa mort en 1865 une très grande influence sur son fils. Mais la famille était marquée par l'injuste décision d'un grand-père qui avait déshérité son fils aîné au profit du cadet et lui avait imposé la vie de pasteur sans qu'il en eût la vocation. Bien qu'il se fût soumis à la volonté paternelle, Charles Tennyson en souffrit toute sa vie. Alfred connut une enfance difficile dans une atmosphère tendue, triste, démoralisée. Envoyé à Cambridge, il ne put, faute d'argent, y terminer ses études. On comprend l'humeur sombre du jeune homme, ses irritations, son repli sur soi. Frustré, il se tourna vers la nature, les larges horizons des collines et du plat pays autour de Lincoln. Il y aima le silence, la solitude, se fit observateur passionné, devenant à la suite d'un Coleridge et d'un Keats un maître de la description minutieuse, si chère plus tard aux préraphaélites, en se servant de mots précis, subtils et musicaux.
Entré à dix-huit ans à Trinity College, il s'y était fait très vite des amis et avait appartenu au groupe des « Apôtres », où les étudiants abordaient tous les problèmes, reposant toutes les questions philosophiques fondamentales ; il s'était senti confirmé dans son désir de se consacrer comme Wordsworth à la seule poésie. Déjà en 1826, il avait publié avec ses frères un recueil de vers. Mais de 1830 à 1850, Alfred Tennyson va connaître une suite presque ininterrompue d'épreuves. La mort de son père (1831) le force à quitter l'université. En 1833, son meilleur ami Arthur Hallam, fiancé à sa sœur Emily, meurt à Vienne. Le soutien moral qu'il trouvait en lui s'effondre. Pendant des années il connaîtra une peine paralysante, une mélancolie indicible. Il laissera passer dix ans entre son recueil de Poems (1832), qui reprenait et développait ses Poems, Chiefly Lyrical (Poèmes surtout lyriques) publiés en 1829, et le volume de 1842 où il met le meilleur de lui-même, où transparaissent[...]
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Écrit par
- Jean-Georges RITZ : professeur émérite à l'université de Grenoble-III
Classification
Autres références
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