BRYCE ECHENIQUE ALFREDO (1939- )
Bien qu'il ait déjà publié, sous le titre de Permiso para vivir (1993), un volume de Mémoires, complété en 2005 par Permiso para sentir, c'est dans ses œuvres de fiction qu'il faut chercher une implicite biographie d'Alfredo Bryce Echenique : il est en effet de ces écrivains qui sont eux-mêmes la matière de leurs livres et pour qui la littérature n'est que réalité décalée. Tous ses romans, toutes ses nouvelles racontent en fait l'histoire d'un homme extraordinairement doué pour voir la vie avec son imagination et la raconter avec suffisamment d'humour pour que ces confessions déguisées ne se réduisent pas à un simple exhibitionnisme. Quand on aura ajouté que le thème constant de son œuvre est l'amour, et son avatar l'amitié, on aura cerné la spécificité d'un écrivain qui a passé une grande partie de sa vie en Europe, belvédère d'où il a pu contempler, avec autant de nostalgie que de sens critique, un Pérou qu'il avait quitté pour échapper à un destin de banquier ou d'avocat afin de s'adonner à sa passion, l'écriture, avant de le retrouver à partir de 1984, pour le quitter à nouveau (1999) et finalement s’y installer – définitivement ? – à la fin des années 2000.
Né à Lima en 1939, dans une famille de la haute société, Bryce Echenique, dont le double patronyme dit bien la double ascendance, écossaise par son père et basque par sa mère, quitte donc son pays pour l'Europe à l'âge de vingt-cinq ans, muni d'une bourse d'un an accordée par le gouvernement français. Comme presque tous ses confrères, il commence par un recueil de nouvelles, Huertocerrado(1968, Je suis le roi), et se révèle au grand public avec son premier roman, Un mundo para Julius (1970, Julius), qui lui vaut d'emblée la célébrité dans le monde hispanique, et une solide notoriété ailleurs. Ce roman, qu'un sondage parmi le monde des lettres liménien donnait pour le meilleur roman péruvien de tous les temps, contient tous les ingrédients qui feront la saveur des suivants : un regard amusé et nostalgique sur une société critiquée et chérie à la fois, un humour tendre et amical pour ses personnages, même ceux qu'il détruit allègrement, et un travail sur la langue qui fait de ces textes l'exemple même d'une littérature pseudo-orale, au point que tout lecteur qui a entendu Bryce Echenique raconter ses histoires a l'impression de l'entendre encore en le lisant.
Les rapports que ces romans entretiennent avec la vie de l'auteur, le fait que leurs protagonistes soient des enfants, des adolescents ou des adultes ayant refusé de grandir, le parcours qu'ils suivent d'un livre à l'autre, même sous des identités différentes, tout cela permet de définir la quasi-totalité des livres de Bryce Echenique comme de véritables romans d'éducation. No me esperen en abril (1995, Ne m'attendez pas en avril) en fournit une preuve éclatante : c'est, dans un collège loufoque pour fils de milliardaires, le récit des années de lycée des futurs dirigeants de la patrie, qui constituent très vite une superbe galerie de dégénérés irrécupérables évoqués par le narrateur, lequel a su, lui, prendre ses distances. On voit la dimension critique. C'est le même humour dévastateur, même s'il n'est jamais vraiment méchant, qu'on trouve dans ses recueils de nouvelles, comme La Felicidadja, ja (1974, La Felicidad, ah ! ah ! ah !), Magdalena Peruana (1988, Une Lettre à Martín Romaña), Dos señorasconversan (1994, Le Petit Verre de ces dames), ou dans le diptyque intitulé Cahiers de navigation dans un fauteuil Voltaire, dont les deux parties, La Vida exagerada de Martín Romaña (1981, La Vie exagérée de Martín Romaña) et El hombre que hablaba de Octavia de Cádiz (1985, L'homme qui parlait d'Octavia de[...]
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Écrit par
- Jean-Marie SAINT-LU : agrégé d'espagnol, maître de conférences honoraire à l'université de Toulouse-II-Le Mirail
Classification
Autres références
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AMÉRIQUE LATINE - Littérature hispano-américaine
- Écrit par Albert BENSOUSSAN , Michel BERVEILLER , François DELPRAT et Jean-Marie SAINT-LU
- 16 963 mots
- 7 médias
De son côté, le Péruvien Alfredo Bryce Echenique, lauréat du prix Planeta pour El huerto de mi amada (2002, Le Verger de mon aimée), revient dans Dándole pena a la tristeza (2012, Une infinie tristesse) sur un de ses thèmes favoris, la critique d’une haute société décadente. On retrouve cet humour...