OTTAVIANI ALFREDO (1890-1979)
Le terrible cardinal Ottaviani n'est plus, il est allé rejoindre l'ombre de Torquemada : c'est du moins ce qu'ont pu dire ou penser ses adversaires et ses victimes, se fondant sur l'image qu'ils se faisaient de lui, associée à celle qu'ils avaient du sinistre Saint-Office où le prélat avait fait sa carrière, la Congrégation pour la doctrine de la foi, héritière de la Sainte Inquisition. Voir en lui un idéologue et un intégriste préposé au maintien de l'orthodoxie dans toute son intransigeance, cela tient à la fois du mythe et de la réalité, les proportions de l'un ou de l'autre variant selon la position occupée par ceux qui parlent du personnage.
Né à Rome le 29 octobre 1890, dans le quartier populaire du Trastevere, Alfredo Ottoviani était le onzième enfant d'une famille qui en comptait douze ; son père était boulanger et sa mère corsetière. Destinée banale en Italie : ce fils du peuple devint homme d'Église et, comblé d'honneurs, jamais n'oublia ses origines. Tant qu'il en eut la force, il ajouta à ses occupations professionnelles le ministère dans une paroisse et le patronage d'un orphelinat, ce qui, pour lui, n'était pas seulement un hobby. Ordonné prêtre en 1916, trois fois docteur, à la romaine (en philosophie scolastique, en théologie et en droit canonique), il débute dans l'enseignement et entre à la Curie. En 1925, le cardinal Gasparri, secrétaire d'État de Pie XI, l'associe à la préparation des accords du Latran qui sont signés en 1929 avec Mussolini. Satisfait de ses services, le cardinal le fait nommer en 1928 sous-secrétaire à la congrégation des Affaires ecclésiastiques extraordinaires, chargée des relations avec les gouvernements. À ce titre, Mgr Ottaviani accompagne à Lourdes en 1935 le cardinal Pacelli, successeur de Gasparri et le futur Pie XII. La même année, sa carrière bifurque de manière décisive : il est nommé assesseur du Saint-Office. Il gravira, au sein de cette congrégation, tous les échelons jusqu'à sa retraite en 1968. Entre-temps, Pie XII le crée cardinal-diacre en 1953, puis Paul VI le sacre archevêque en 1963. Il choisit pour devise : Semper idem égal à soi-même, inaltérable, incorruptible.
Au cours de sa longue vie, Ottaviani a voyagé fort peu pour un homme de son temps, beaucoup pour un homme de la Curie romaine qui n'a jamais été nonce. Il est revenu en France en 1957, à Lisieux, pour le cinquantenaire de sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus, puis, en 1958, à Lourdes, pour le centenaire des apparitions. Qu'il ait peu voyagé ne veut pas dire qu'il ignorait tout, ou à peu près tout, du monde et des hommes, que son expérience se réduisait à celle des bureaux et qu'il avait fini par n'être plus lui-même qu'une machine à condamner. Ceux qui l'ont approché ont tous été sensibles à sa personnalité : il était loyal et bienveillant ; il n'était ni fanatique ni fermé, mais d'une intransigeante fermeté dès que lui paraissaient en jeu les vérités et les valeurs dont il était le gardien.
En fait, il a d'abord été l'homme d'un système et le représentant d'une conception, celle du catholicisme du Syllabus tel qu'il s'est développé de Pie IX à Pie XII, entre le premier et le second concile du Vatican. Il a appliqué sans défaillance et sans hésitation des méthodes qu'il n'avait pas inventées. Il a pareillement condamné comme funestes toutes les idées que ses maîtres lui avaient appris à condamner et contre lesquelles l'Église romaine luttait sans désemparer : le libéralisme – péché originel du monde moderne et boîte à surprise de tous nos maux –, le laïcisme, l'athéisme, le rationalisme, le matérialisme, le communisme, l'œcuménisme, l'immoralisme, etc. Il tenait que les [...]
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Écrit par
- Émile POULAT : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
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