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ALGÈBRE

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Les origines de l'algèbre commutative

Corps et anneaux

L'étude des corps et des anneaux trouve son origine dans les travaux de l'école allemande du xixe siècle, principalement ceux de Kummer, Kronecker, Dedekind et Hilbert. Au départ, les motivations sont ici essentiellement la théorie des équations puis la théorie arithmétique des nombres algébriques, qui découle de recherches relatives au théorème de Fermat ; plus tardivement, et jusqu'à l'époque contemporaine, la géométrie algébrique a été également une source d'idées essentielles.

La notion d'anneau dégage sous forme abstraite les analogies constatées par exemple dans le maniement des nombres entiers relatifs et des polynômes : un anneau est un ensemble muni de deux lois de composition internes :

appelées addition et multiplication respectivement, telles que la première soit une loi de groupe abélien et que la seconde soit associative (i.e. (xy)z = x(yz)) ; on impose de plus les conditions suivantes de distributivité entre les deux lois :
pour x, y, z quelconques dans l'anneau. Il est commode de supposer l'existence d'un élément unité pour la multiplication. Lorsque, comme dans le cas des nombres rationnels par exemple, l'ensemble des éléments distincts de l'élément neutre pour la première loi (noté 0) est un groupe pour la seconde loi, on dit que l'anneau est un corps. Ici on considérera seulement le cas où la multiplication est commutative, en renvoyant à la fin du chapitre 3 le cas non commutatif.

La théorie des corps

Les premiers exemples de corps non triviaux ont été introduits par la théorie des équations. Les travaux de Gauss avaient familiarisé les mathématiciens avec le maniement des nombres complexes et Abel, puis Galois, dégagent l'idée d'adjonction : ils considèrent les corps engendrés par les racines ou les coefficients (indéterminés) d'une équation mais, en fait, si ces auteurs définissent avec précision l'appartenance d'une quantité à un tel corps, ils ne considèrent pas explicitement l'ensemble ainsi constitué. Il faut attendre Dedekind (qui introduit le mot corps) pour une étude systématique de certains corps d'un type assez général, les corps de nombres algébriques ; ce sont des corps Q(θ) obtenus de la façon suivante : si θ est un nombre complexe racine d'une équation f (x) = 0 de degré n, à coefficients entiers, irréductible sur le corps Q des nombres rationnels, on appelle Q(θ) l'ensemble, qui est un corps, des nombres complexes a0 + a1θ + ... + an-1θn-1 où les ai sont des nombres rationnels quelconques.

Tous les corps de nombres algébriques sont des sous-corps du corps des nombres complexes ; reprenant une idée de Cauchy qui définissait les nombres complexes comme classes résiduelles de polynômes à coefficients réels modulo le polynôme x2 +1, Kronecker donne, en 1882, les premiers exemples de corps (non triviaux) définis abstraitement en montrant que, avec les notations ci-dessus, le corps Q(θ) est isomorphe au corps des classes résiduelles de polynômes à coefficients rationnels modulo le polynôme f (x). Vers la même époque, Dedekind et Weber font rentrer dans la théorie des corps le calcul des congruences modulo un nombre premier (mettant ainsi en évidence les premiers corps finis, déjà étudiés par Galois) et donnent une première esquisse d'une théorie axiomatique des corps.

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À la fin du xixe siècle, les exemples de corps définis abstraitement vont se multiplier. Il faut citer surtout les corps de nombres p-adiques, introduits par Hensel et dont l'importance dans de nombreuses branches des mathématiques est considérable, et les corps de séries formelles, introduits par Véronèse en liaison avec des préoccupations de géométrie algébrique. Tous ces exemples allaient conduire Steinitz, en 1910, à développer systématiquement la théorie des corps et de leurs extensions sous la forme qu'elle possède actuellement.

La théorie des idéaux

À l'origine de la théorie des anneaux, on trouve essentiellement des recherches de théorie des nombres. En 1831, Gauss avait été amené, à propos de ses célèbres recherches sur les résidus biquadratiques, à étudier des propriétés de divisibilité dans l'anneau Z[i]des « entiers de Gauss » de la forme a + bi, a et b entiers relatifs et i2 = − 1 ; il avait constaté une parfaite analogie avec les propriétés correspondantes de l'anneau Z des entiers rationnels, ce qui s'explique, dans le langage moderne, par le fait que ces deux anneaux sont principaux. Les travaux de Kummer sur le théorème de Fermat allaient faire apparaître des anneaux pour lesquels la situation est souvent très différente ; il s'agit des anneaux cyclotomiques ainsi définis : p étant un nombre premier et ζ étant une racine primitive p-ième de l'unité, on appelle Z [ζ] l'ensemble, qui forme un anneau, des combinaisons linéaires à coefficients entiers de puissances de ζ. Comme on le sait, le théorème de Fermat affirme que la relation :

est impossible pour x, y, z entiers non nuls et p entier supérieur ou égal à trois ; en fait, on voit facilement qu'on peut se borner à établir cette impossibilité pour p premier > 3. Il est probable que la « démonstration » de Fermat utilisait implicitement le fait, erroné dans le cas général, que, comme dans l'anneau Z, tout élément de l'anneau Z [ζ] s'écrit de manière unique (à un élément inversible dans l'anneau près) comme produit d'éléments premiers. En 1845, après huit ans d'efforts, Kummer en introduisant ses « nombres idéaux » (qu'on appelle maintenant des diviseurs) élucide complètement le problème de la division dans les anneaux cyclotomiques et démontre le théorème de Fermat dans de très nombreux cas.

L'idée de Kummer est en gros la suivante : soit x un élément de l'anneau Z [ζ] qui admet deux décompositions différentes, soit, pour simplifier :

où les éléments x1, x2, x3, x4 sont tous premiers ; on suppose de plus que ces deux décompositions ne diffèrent pas seulement par un élément inversible. Kummer démontre qu'on peut représenter les éléments non nuls de l'anneau considéré comme objets d'un nouvel ensemble muni d'une multiplication et dans lequel la décomposition en facteurs premiers est cette fois définie de manière unique. Ainsi, pour tout élément x ≠ 0 de Z [ζ], son image (x), sera décomposable de manière unique en facteurs premiers « idéaux », mais ces facteurs premiers ne sont pas nécessairement les images de certains éléments de l'anneau Z [ζ] ; de même, un élément premier de l'anneau Z [ζ] n'a pas nécessairement pour image un « nombre idéal » premier. L'existence de deux décompositions distinctes rencontrées ci-dessus pour x s'explique ainsi : il existe des « nombres idéaux » p1, p2, p3, p4 tels que :
et les deux décompositions de x s'écrivent :
qui diffèrent seulement par l'ordre des facteurs.

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La notion d' idéal d'un anneau sous groupe additif qui est stable par multiplication par un élément quelconque de l'anneau, a été introduite, en liaison avec les travaux de Kummer, par Dedekind dans le cas des anneaux d'entiers algébriques. Dedekind montra que les « nombres idéaux » peuvent être représentés par les idéaux de l'anneau, donnant ainsi un exemple de loi de composition entre ensembles d'éléments. En général, un idéal n'est pas inversible pour la loi de composition ainsi définie ; par symétrisation de cette loi, on introduit les idéaux fractionnaires qui sont importants en théorie des nombres et en géométrie algébrique.

Les anneaux auxquels on peut généraliser la théorie de Kummer ont été étudiés systématiquement à l'époque contemporaine, conduisant à la notion générale d'anneau de Dedekind. Un outil essentiel est ici la notion de valuation d'un corps introduite sous forme générale par Krull en 1931 mais déjà utilisée antérieurement dans des cas particuliers, par Ostrowski notamment ; les idéaux premiers d'un anneau de Dedekind sont en correspondance biunivoque avec les classes de valuations équivalentes du corps des fractions de cet anneau.

Éléments entiers

L'étude arithmétique systématique des corps de nombres algébriques n'était possible qu'en introduisant une notion d'élément entier jouant, pour un tel corps, le même rôle que les entiers usuels pour le corps des nombres rationnels. Les progrès dans ce domaine furent réalisés à peu près simultanément et indépendamment par Kronecker et Dedekind pendant la seconde moitié du xixe siècle. La notion d'entier algébrique est due à Dedekind : un nombre complexe est un entier algébrique s'il est racine d'un polynôme à coefficients entiers rationnels dont le coefficient du terme dominant est égal à 1 ; les entiers algébriques d'un corps K de nombres algébriques forment un anneau, que Dedekind appelle un ordre (le mot anneau est de Hilbert). Dans un théorème célèbre et profond, Dirichlet décrit complètement le groupe multiplicatif des éléments inversibles de l'anneau des entiers d'un corps de nombres algébriques et ce résultat a d'importantes applications arithmétiques, notamment dans l'étude des représentations des nombres entiers par des formes quadratiques.

Plus généralement, si A est un anneau contenu dans un corps K, on peut définir les éléments du corps qui sont entiers sur A ; un tel anneau A est dit « intégralement clos » s'il est égal à l'ensemble des éléments de son corps des fractions qui sont entiers sur lui. Ces anneaux ont pris une grande importance en géométrie algébrique contemporaine depuis que Zariski et ses élèves ont mis en évidence l'intérêt des variétés algébriques dites normales, qui possèdent la propriété qu'en chacun de leurs points l'anneau des fonctions rationnelles définies en ce point est intégralement clos.

Géométrie algébrique et algèbre commutative

Il n'est pas question même d'esquisser ici l'histoire de la géométrie algébrique, qui était au départ l'étude des courbes algébriques, et qui, sous sa forme actuelle, la théorie des schémas, due au mathématicien français A. Grothendieck, est devenue une des branches les plus abstraites et les plus vivantes des mathématiques contemporaines ; nous essayerons seulement de montrer, de manière d'ailleurs bien incomplète, comment les premiers besoins de cette science ont conduit à l'introduction et à l'étude axiomatique de nouveaux types d'anneaux.

À l'origine, le propos de la géométrie algébrique était essentiellement l'étude des courbes dans le plan projectif complexe et la théorie des « fonctions algébriques », développée par Weierstrass et Riemann à partir des travaux d'Abel et Jacobi, utilisait presque uniquement des méthodes transcendantes. Avec Riemann et Dedekind, le centre d'intérêt se porte sur l'anneau des fonctions rationnelles partout définies (sauf à l'infini) ; les mathématiciens découvrent alors que les propriétés géométriques de la courbe se reflètent dans cet anneau et que l'étude de ces anneaux et l'étude géométrique vont de pair.

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Hilbert, dans ses travaux sur les anneaux de polynômes à plusieurs variables, dégage le fait important que tous les idéaux de ces anneaux sont engendrés par un nombre fini d'éléments. Ces conditions de finitude allaient prendre un grande importance avec les travaux de la mathématicienne allemande E. Noether qui, vers 1920, étudie systématiquement ces anneaux (appelés actuellement anneaux noethériens). La géométrie algébrique s'étant progressivement débarrassée, pendant la première moitié du xxe siècle, de toute hypothèse sur le corps de base et la nature des singularités, on peut dire, depuis 1940 environ, que tout résultat relatif aux anneaux noethériens a une interprétation « géométrique » dans ce cadre. Dans cet ordre d'idée, signalons par exemple un résultat important : bien que la théorie de Kummer ne soit pas valable pour l'anneau des polynômes à n variables sur un corps K, on peut cependant associer à tout idéal de cet anneau un ensemble bien déterminé d'idéaux premiers et ceux de ces idéaux premiers qui sont minimaux correspondent aux composantes irréductibles de l'ensemble défini dans Kn par l'annulation des polynômes de l'idéal. Par ailleurs, on peut ici encore donner des théorèmes de « décomposition » des idéaux en introduisant des notions nouvelles qui dépasseraient le cadre de cet article. Signalons pour terminer que la notion de dimension, directement issue de la géométrie algébrique, a été convenablement axiomatisée pour des anneaux commutatifs très généraux et est étudiée de manière abstraite dans ces anneaux.

Anneaux locaux et localisation

L'anneau Z(p) des nombres rationnels dont le dénominateur n'est pas divisible par un nombre premier p, ou l'anneau des germes de fonctions holomorphes dans un voisinage de l'origine du plan complexe, possèdent une propriété commune : il existe un idéal de cet anneau qui est distinct de l'anneau et qui contient tous les autres idéaux distincts de l'anneau (dans le premier cas, c'est l'ensemble des nombres rationnels dont le numérateur est divisible par p sans que le dénominateur le soit et, dans le second cas, l'ensemble des germes des fonctions considérées qui s'annulent à l'origine). De manière générale, on appelle anneau local tout anneau possédant cette propriété, et on étudie ces anneaux sous forme abstraite ; l'intérêt de cette notion est qu'elle inclut en particulier tous les anneaux de germes de fonctions (rationnelles, différentiables ou analytiques) que l'on rencontre dans la théorie des variétés algébriques, différentiables ou analytiques. En liaison avec la notion de valuation dont une des applications a déjà été signalée ci-dessus, un autre exemple important d'anneau local est constitué par les anneaux de valuation : un sous-anneau A d'un corps K, qui est distinct de K, est appelé un anneau de valuation de K si, pour tout x ≠ 0 qui n'appartient pas à A, son inverse x appartient à A ; ces anneaux correspondent à l'ensemble des éléments de K où une valuation de K prend des valeurs supérieures à 1.

Reprenons l'exemple de l'anneau Z(p) ci-dessus pour expliquer dans un cas particulier la méthode générale de localisation. Considérons une équation diophantienne :

où P est un polynôme à coefficients entiers rationnels. Pour trouver les solutions entières de cette équation, on peut d'abord chercher les solutions qui appartiennent au corps des quotients Q de l'anneau Z, puis, dans une seconde étape, les solutions rationnelles dont le dénominateur n'est pas divisible par un nombre premier p, i. e. les solutions qui appartiennent à l'anneau Z(p), appelé l'anneau local de Z qui correspond au nombre premier p. Bien entendu, si l'équation considérée à une solution dans Z, cette solution appartiendra à tous les anneaux locaux Z(p). Dans le cas d'un anneau général A, on peut de même résoudre le problème posé dans les anneaux locaux correspondant aux idéaux premiers de l'anneau. La résolubilité de l'équation dans chacun des anneaux locaux (localisation) est une condition nécessaire d'existence d'une solution dans l'anneau A. L'étude de la suffisance de ces conditions (en nombre infini dans le cas général) s'appelle la globalisation ; signalons tout de suite qu'en général la globalisation n'est pas possible sous la forme indiquée ci-dessus.

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Écrit par

  • : maître de conférences honoraire à l'université de Paris-VII

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