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TOURÉ ALI FARKA (1939-2006)

Son blues de Tombouctou lui a valu le surnom de « John Lee Hooker africain ». Mais Ali Farka Touré préférait inverser le propos et clamer l'ancrage sahélien des musiques noires américaines : « Moi, j'ai la racine et le tronc, disait-il, eux, ils n'ont que les feuilles et les branches. »

Paysan dans l'âme, le chanteur et gratteur de cordes malien a continué à travailler la terre jusqu'à son hospitalisation pour le cancer qui l'a emporté à l'âge de soixante-six ans, le 7 mars 2006, à Bamako. Loin de toute langue de bois, avec un solide bon sens et parfois des élans de prêcheur, il usait en toute occasion de savoureux proverbes, et d'un vocabulaire fleuri issu du parler désuet laissé en héritage par les colons.

Cet enfant d'un militaire mort à la guerre, dans les rangs de l'armée française, est né en 1939 à Niafounké, près de Tombouctou, alors en Afrique-Occidentale française, aujourd'hui au Mali. Il avait été élevé par un oncle aux rudes méthodes pédagogiques, et par une grand-mère « forte en génitique », c'est-à-dire en vaudou, en communication avec les génies. À dix ans, il eut un coup de foudre pour le luth monocorde diurkel, qu'il appelait « l'instrument des esprits », et pour la vièle diarka (n'jarka), « dont les épouses se servent pour retenir leur mari à la maison ». Sept ans plus tard, au dispensaire où il était apprenti chauffeur, il s'éprendra de la guitare d'un collègue : « Il l'avait achetée par correspondance chez Manufrance et exigeait, pour me la prêter une heure, que j'exécute ses corvées pendant toute une journée ! »

C'est seulement en 1968, alors qu'il va représenter le Mali en Bulgarie, qu'il a enfin l'occasion d'acquérir sa première guitare à six cordes. La consécration internationale viendra plus tard, dans la foulée des concerts donnés en Grande-Bretagne, au milieu des années 1980, à l'invitation du label anglais indépendant World Circuit, auquel il restera fidèle sa vie durant.

Plusieurs fois, Ali Farka Touré a annoncé son projet d'arrêter la musique. « Il est temps que je me consacre aux miens. Je ne souhaite pas que l'Europe m'enlève à l'Afrique. Et pour quoi faire d'ailleurs ? Moi, j'aime cultiver la terre. Dans ma vie, si je ne suis pas aux champs, je suis à la pêche ou au potager. Et puis, les bourgeois africains qui se sont installés en Occident sont ridicules : quand on a une famille aisée, pourquoi tout laisser pour partir à l'aventure ? Quand on émigre, c'est pour bien comprendre la vie et revenir chez soi avec des solutions, pas pour s'installer dans un exil doré ! »

Régulièrement, pourtant, Ali Farka Touré est revenu en concert en Europe et aux États-Unis. Il obtient en 1995 son premier Grammy Award pour l'album Talking Timbuktu, enregistré en 1993 avec le bassiste John Patitucci, le percussionniste Jim Keltner, le grand guitariste californien Ry Cooder (qui joue également le rôle de producteur) et le vénérable guitariste Clarence « Gatemouth » Brown. Ses trois dernières années d'existence seront extraordinairement fécondes. Coup sur coup, il enregistre alors ses deux meilleurs albums, In the Heart of the Moon (2004), en duo avec le joueur de kora mandingue Toumani Diabaté (pour lequel il obtient un autre Grammy Award), et Savane (2005), consacré aux répertoires traditionnels peuls et songhaï. Dans le même temps, il s'adonnait sans relâche à ses travaux agricoles, et à ses fonctions de maire, qu'il exerçait depuis 2004.

Ali Farka Touré était obsédé par les difficultés économiques de son pays. Mais comment sortir du sous-développement « lorsqu'on n'a qu'un puits pour six cents habitants et qu'il faut tirer l'eau avec des chevaux et des ânes eux-mêmes assoiffés ? » La réponse du maire-chanteur[...]

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