ALICE AU PAYS DES MERVEILLES, Lewis Carroll Fiche de lecture
« Quand je lisais des contes de fées, je m'imaginais que des aventures de ce genre n'arrivaient jamais, et, maintenant, voici que je suis en train d'en vivre une ! On devrait écrire un livre sur moi, on le devrait ! », s'exclame l'héroïne des Aventures d'Alice au pays des merveilles, poussant le lecteur à suspendre toute « incroyance » – pour paraphraser le romantique anglais Coleridge – à l'égard de l'univers onirique dans lequel elle se trouve plongée. Sans doute les rapports complexes de l'univers de fiction de Lewis Carroll (1832-1898) à la réalité victorienne dans laquelle celui-ci se trouve ancré contribuèrent-ils au succès d'une œuvre qui, au-delà de sa drôlerie, reste énigmatique et dérangeante. Ainsi la réputation d'Alice a-t-elle depuis longtemps franchi les frontières de la Grande-Bretagne pour compter au rang des grands mythes modernes. Cette figure paradoxale ne cesse toutefois de nous fasciner, résistant toujours autant à notre compréhension, en miroir des œuvres dont elle est le personnage central (Alice au pays des merveilles, 1865, que suivra De l'autre côté du miroir, 1872).
Les aventures d'Alice naquirent de l'imagination d'un mathématicien qui enseignait à l'université de Christ Church à Oxford et qui fut l'auteur d'une quinzaine de traités et de manuels portant sur l'algèbre, la géométrie et la logique. Charles Ludwidge Dodgson, qui adopta le pseudonyme de Lewis Carroll pour la publication de ses fantaisies littéraires, semble leur avoir accordé une importance mineure au regard de ses productions plus sérieuses. Pourtant ses recherches marquent le cœur de ses contes, qui dévoilent, au détour des conversations d'Alice avec les créatures de ses univers merveilleux, des intuitions profondément novatrices, anticipant sur le formalisme logique, la linguistique de Ferdinand de Saussure (1857-1913), voire la découverte freudienne. Sous le couvert de la fantaisie, le nonsense, un genre proche de l'absurde qui culmine avec l'œuvre littéraire de Lewis Carroll, travaillé par les interrogations qui agitaient l'auteur, s'avère approcher un savoir plus subversif.
Un univers étrange et onirique
Les Aventures d'Alice au pays des merveilles naquirent lors d'une promenade en bateau à laquelle Lewis Carroll avait convié Alice, Lorina et Charlotte Liddell, les filles du doyen de Christ Church. Les enfants lui demandèrent de leur raconter une histoire qu'il inventa au fur et à mesure de leur progression, comme le rapporte son ami le révérend Duckworth qui les accompagnait. Sur la prière d'Alice, Lewis Carroll écrivit ce récit qu'il agrémenta de dessins, puis il l'augmenta en vue de sa publication et s'attacha la collaboration du caricaturiste John Tenniel pour les illustrations.
La structure du conte conserve la trace de cette composition au fil de l'eau : les épisodes en sont reliés lâchement, sans nécessité logique, au point que Lewis Carroll put en rajouter ou en retrancher dans les deux volumes des Aventures d'Alice au pays des merveilles sans modifier le cours du récit. Les scènes en sont teintées d'onirisme ; au terme de ses aventures, le lecteur apprendra d'ailleurs qu'Alice a rêvé, alors que celles-ci avaient débuté suivant la convention du merveilleux, qui veut que le passage de la réalité à la fiction se fasse sans transition. Au pays des merveilles, Alice rencontre des créatures bizarres – le ver à soie, le Dodo, le chat du Cheshire – qui mettent à l'épreuve sa logique et son bon sens en prenant ses énoncés au pied de la lettre. Alice ne cesse de changer de taille lorsqu'elle boit ou mange quelque chose et ne parvient plus à contrôler ce qu'elle dit lorsqu'elle veut réciter des poèmes, ce qui la conduit à s'interroger[...]
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Écrit par
- Sophie MARRET : ancienne élève de l'E.N.S. Fontenay/Saint-Cloud, professeur agrégé d'anglais, maître de conférences à l'université de Rennes-2
Classification
Média
Autres références
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CARROLL LEWIS (1832-1898)
- Écrit par Jean GATTÉGNO
- 2 948 mots
- 1 média
...les compositions artistiques. C'est ainsi qu'il tira de nombreux portraits des enfants du doyen de son collège, Liddell, et s'attacha à la petite Alice. En 1862, l'année où celle-ci eut dix ans, Carroll, au cours d'une promenade en barque, raconta pour la première fois ce qui devait devenir ...