ALIÉNISME (histoire du concept)
Apparu en 1833, le terme aliénisme, dérivé d'aliénation, a surtout été utilisé par la suite pour désigner rétrospectivement la nouvelle spécialité médicale qui s'est développée au xixe siècle par l'application à l'étude et au traitement de la folie des méthodes de la médecine moderne née de la philosophie des Lumières.
De la « manie » à l'aliénation mentale
Au début du xixe siècle, plusieurs auteurs européens ont publié dans leurs pays respectifs, sous des régimes politiques très différents, des ouvrages posant la question de savoir quel devrait être désormais le traitement médical de la folie : en Toscane, Vincenzo Chiarugi (1759-1820), en Savoie, Joseph Daquin (1732-1815), en France, Philippe Pinel (1745-1826) et, en Angleterre, Samuel Tuke (1784-1857). Pinel, médecin de l'hospice de Bicêtre pendant la Convention, a proposé dans son Traité médico-philosophique sur l'aliénation mentale ou la manie de l'an IX (1800) de substituer à la notion de « manie », qui gardait encore le sens antique de « folie » considérée comme une perte totale de la raison, celle d'aliénation mentale, définie comme une contradiction interne entre les fonctions de l'entendement et les fonctions affectives, mais respectant au moins partiellement la raison du sujet ainsi devenu « étranger », aliéné à lui-même. Le médecin peut, en s'appuyant sur la partie non aliénée de la raison, pratiquer un traitement moral, par opposition au traitement physique, de l'aliénation.
Les causes déterminantes de l'aliénation mentale sont en effet, pour Pinel et pour les aliénistes qui le suivent, des causes morales, les passions de l'âme, les causes physiques n'étant qu'adjuvantes. Il convient donc tout d'abord de renoncer aux moyens physiques brutaux (coups, chaînes, immersion brutale, saignée...), jusque-là utilisés dans le traitement de la folie, pour établir avec l'aliéné une relation à la fois de confiance et d'autorité. Cela était impossible à réaliser dans ce lieu d'enfermement et non de soins qu'était à la fin du xviiie siècle l'hôpital général, et ne pourra se faire que dans de nouvelles institutions où les aliénés ne seront plus mélangés avec d'autres malades, délinquants ou criminels. L'expérience de Pinel pour traiter selon ces nouveaux principes les aliénés de La Salpêtrière le conduisit à distinguer quatre espèces d'aliénation : la manie, ce terme perdant le sens général de folie pour en prendre un plus restreint ; la mélancolie ; l'idiotisme, état pour lequel Pinel admet l'existence de causes physiques expliquant ainsi l'échec du traitement moral entrepris par Jean Itard (1774-1838) du fameux enfant sauvage, Victor de l'Aveyron ; la démence.
Si Johann Christian Heinroth (1773-1843) propose dès 1814 de nommer psychiatrie, littéralement « médecine de l'âme », cette nouvelle spécialité médicale, ce terme sera long à remplacer en français celui d'aliénisme, pourtant postérieur.
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Écrit par
- Jean GARRABÉ : psychiatre honoraire des hôpitaux, membre honoraire de l'Association mondiale de psychiatrie
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