DIOP ALIOUNE (1910-1980)
Le rayonnement d'Alioune Diop, universitaire sénégalais, professeur en France et fondateur des éditions et de la revue Présence africaine, est à la fois l'un des plus incontestés et l'un des plus discrets dans l'histoire du mouvement émancipateur des peuples noirs qui a si radicalement traversé le xxe siècle.
Contre vents et marées, au milieu de l'hostilité coloniale et des soubresauts des indépendances africaines, au cœur des divergences entre les courants idéologiques les plus opposés chez les Africains eux-mêmes, Alioune Diop a suscité de façon permanente l'expression et le dialogue. Sans chercher à aplanir les différences, il a fondé, maintenu, assuré ce lieu d'intervention capital pour la pensée, la littérature et la politique des Africains que fut Présence africaine.
C'est au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, après les efforts difficiles des revues antillaises de Paris (Légitime Défense, 1932, et L'Étudiant noir, 1934-1940), que s'affirme le mouvement de la négritude autour des Césaire, Damas, Senghor. Comme eux, Alioune Diop est conscient d'un désarroi capital chez toute une génération d'étudiants africains en France : « Incapables, dit-il, de revenir entièrement à nos traditions d'origine ou de nous assimiler à l'Europe, nous avions le sentiment de constituer une race nouvelle, mentalement métissée [...]. Des déracinés ? Nous en étions, dans la mesure précisément où nous n'avions pas encore pensé notre position dans le monde et nous abandonnions entre deux sociétés, sans signification reconnue dans l'une ou dans l'autre, étrangers à l'une comme à l'autre. »
Il s'agissait donc pour ces hommes de retrouver « la dignité de la race noire » dont le colonialisme a nié l'existence pour assurer sa domination.
Depuis 1947, date du premier numéro de Présence africaine, Alioune Diop organisa en outre les Congrès des écrivains et artistes noirs (Paris, 1956, et Rome, 1959), le Festival des arts nègres de Dakar (1963), le Festival culturel panafricain d'Alger (1969). Il créa, en 1956, la Société africaine de culture, dont il assura le secrétariat général.
Spiritualiste, la pensée d'Alioune Diop, qui situait essentiellement son combat sur le plan culturel, ne pouvait que susciter des critiques de la part de certains mouvements anticolonialistes qui ne manquèrent pas de voir dans le concept de négritude un unanimisme faux, comme si les conflits de classe n'existaient pas au sein des sociétés noires, qu'elles soient pré- ou post-coloniales. Mais il reste que des écrivains, des politiciens, des personnalités noires, qui furent très critiques à l'égard de Présence africaine et de l'idéologie de la négritude, reconnaissent aujourd'hui le caractère progressiste et positif de la démarche d'Alioune Diop (voir les déclarations ultérieures d'un René Depestre ou d'un Mongo Beti) et ce qu'elle supposait d'ouverture d'esprit et d'aptitude au dialogue.
Innombrables sont les écrivains que Présence africaine révéla : citons Birago Diop, Bernard Dadié, Sembène Ousmane..., sans oublier tant de recherches historiques, sociologiques ou politiques concernant le continent africain. En trente ans, ce continent a considérablement changé.
Pour tout ce qu'il a permis d'occasions d'expression et de débats à tant d'« Orphées noirs », selon l'expression de Jean-Paul Sartre, Alioune Diop mérite de rester dans les mémoires comme ce « Socrate noir » auquel il fut rendu hommage en sa personne à l'occasion du trentième anniversaire de Présence africaine.
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Écrit par
- Jacques JOUET : écrivain
Classification
Autres références
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AFRIQUE NOIRE (Culture et société) - Littératures
- Écrit par Jean DERIVE , Jean-Louis JOUBERT et Michel LABAN
- 16 566 mots
- 2 médias
Fondée à Paris en 1947, la revue Présence africaine, animée parAlioune Diop dans l'esprit de la négritude, proclamait sa volonté de manifester l'émergence culturelle du monde noir : « Le Noir qui brille par son absence dans l'élaboration de la cité moderne pourra, peu à peu, signifier...