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DES FORGES ALISON (1942-2009)

Née le 20 août 1942 à Schenectady, dans l'État de New York, Alison Bowe Des Forges, née Liebhafsky, a disparu le 12 février 2009. Cette historienne, spécialiste de la région des Grands Lacs, était une femme extraordinaire, au sens littéral du mot, une personnalité hors du commun, d'une rare intelligence de cœur et d'esprit, traduite en actes tout au long de sa vie. Femme fluette, elle en imposait par son autorité naturelle, tout en restant toujours d'un abord facile.

Née dans une famille modeste, récemment immigrée d'Europe, elle fit toujours preuve d'une grande générosité, agissant auprès des personnes dont elle estimait qu'elles avaient moins de chances qu'elle dans la vie. Étudiante au College Radcliff de Cambridge (Massachusetts), où elle est entrée directement en deuxième année en 1962, elle rejoint l'association Philips Brooks House qui propose un soutien scolaire bénévole dans les écoles défavorisées des quartiers de Boston, et ailleurs dans le monde. En 1963, elle part ainsi enseigner l'anglais à des réfugiés rwandais au Tanganyika (actuelle Tanzanie). Devenue mère de famille, elle appuie l'association United Parents, créée à Buffalo, et se bat durant des années pour obtenir les moyens de renforcer le système scolaire et permettre aux élèves, dont ses enfants, d'accéder à une éducation de qualité, ouverte au plus grand nombre. Elle contribue également à la création des magnet schools, les premières écoles appliquant la méthode Montessori aux États-Unis.

Comme le raconte son mari, Roger V. Des Forges, historien spécialiste de la Chine : « Elle aurait pu obtenir son diplôme en trois ans, si elle n'avait pas attendu après moi qui ai terminé, classiquement, en quatre années. » Ils se sont connus en 1959, se sont mariés en 1964, ont eu deux enfants, Alexander et Jessie, qui leur donneront trois petits-enfants, créant une famille qui a été un socle fort pour elle.

Alison et Roger avaient un intérêt commun pour les langues et les cultures étrangères. Leurs origines les avaient d'abord incités à orienter leurs recherches sur l'Europe et surtout sur la France ; mais ce sont finalement vers d'autres continents qu'ils se sont tournés. En 1968, Alison Des Forges part au Rwanda – dont elle apprend la langue, le kinyarwanda – pour faire ses recherches dans le cadre de son doctorat, accompagnée de son mari, qu'elle suivra ensuite en Chine en 1969. Pendant des années, ils feront des séjours prolongés, en famille, dans ces deux pays, au Rwanda en 1981, puis en Chine en 1983 où, ayant appris le chinois, Alison enseigne l'histoire de l'Afrique à l'université de Pékin.

Elle obtient un master en 1966 à l'université Yale puis un doctorat en histoire en 1972. Ceux qui ont eu la chance de travailler avec elle soulignent ses qualités : rigueur, détermination, précision, courage, discernement. De son séjour au Tanganyika est né son intérêt pour l'histoire des collines du Rwanda. Sa thèse de doctorat Defeat is the Only Bad News : Rwanda under Musiinga, 1896-1931 (jamais publiée ni traduite en français) présente une analyse unique du royaume du Rwanda avant et au début de l'ère coloniale.

Selon Marc Bloch (L'Étrange Défaite), « un historien a pour premier devoir de s'intéresser „à la vie“ » ; c'est le choix qu'Alison Des Forges a fait en sacrifiant sa carrière universitaire pour rejoindre Africa Watch en 1988 (devenu Human Rights Watch, H.R.W.), en tant qu'experte de la région des Grands Lacs. D'abord chercheuse bénévole, car elle a du mal à accepter d'être rémunérée pour ce travail, elle est finalement promue Senior Adviser (conseillère principale) en 2001. Dès lors, constamment en alerte, appliquant sa rigueur d'historienne aux enquêtes en matière de droits de[...]

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Écrit par

  • : ingénieur d'études à l'université de Paris-VIII, secrétaire générale du Groupement pour l'étude de la mondialisation et du développement

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