GREIMAS ALJIRDAS-JULIEN (1917-1992)
Né en 1917 à Tula de parents lituaniens, Algirdas-Julien Greimas fit des études de linguistique et de philologie à Grenoble (1936-1939). L'annexion de la Lituanie par l'U.R.S.S., en 1944, et la déportation de ses parents le contraignirent à l'émigration. À la Sorbonne, il commence, en 1945, sous la direction de Charles Bruneau, une thèse de lexicologie sur le vocabulaire de la mode en 1830. Dès sa soutenance, en 1949, il devient maître de conférences à la faculté des lettres d'Alexandrie et, quelques années plus tard, professeur à Ankara et Istanbul. En 1965, Claude Lévi-Strauss et Roland Barthes l'appellent à l'École pratique des hautes études, où il est élu directeur d'études en sémantique générale. Il y finira sa carrière. Greimas poursuit explicitement l'entreprise de Ferdinand de Saussure et de Louis Hjelmslev, et il se situe dans la lignée du structuralisme européen. Dans la première phase de ses recherches (1956-1968), il édifie d'abord une sémantique générale en dépassant les limites du mot et de la phrase que se donnait traditionnellement la linguistique. En deçà du mot, il théorise, à la suite de Pottier, l'analyse sémique, qui décompose le sens lexical en unités minimales de signification, ou sèmes. Au-delà de la phrase, il propose une théorie des structures textuelles inspirée de la Morphologie du contede Propp. Ces deux directions de recherche sont complémentaires et lui permettent de créer le concept original d'isotopie, qui met en relation ces deux paliers extrêmes de l'analyse linguistique : l'isotopie assure la cohérence sémantique du texte par la récurrence de sèmes. Sémantique structurale (1966) présente un essai de synthèse de ces recherches. Dans une seconde phase (1968-1978), Greimas tente une synthèse sur un autre axe en définissant un parcours génératif de la signification. La génération d'un objet sémiotique quelconque procéderait en trois étapes. Au niveau initial, le plus profond, se trouve une structure élémentaire de la signification, sorte de carré logique, dit modèle constitutionnel — utilisé précédemment pour décrire les relations entre sèmes de même catégorie. Le niveau intermédiaire, ou niveau narratif, met en œuvre des sphères d'activité, les actants, et des types de processus, les fonctions. Ces unités narratives sont organisées en un petit nombre de catégories fondamentales. Le niveau de surface, ou niveau discursif, est celui de la manifestation sémiotique. Par ce dispositif, Greimas étend sa théorie linguistique à tous les systèmes de signes, puisque leurs manifestations ne sont spécifiées qu'au niveau discursif. Corollairement, il affirme le caractère narratif de tout objet sémiotique. Enfin, le caractère a priori du modèle constitutionnel témoigne d'un tournant spéculatif dans sa pensée. Les ultimes développements (1978-1992) de ses recherches suivent trois directions convergentes. La théorie des structures narratives conduit à une réflexion sur les modalités (notamment l'être, le savoir, le vouloir et le pouvoir), rapportées aux relations entre sujets et objets sémiotiques abstraits. La notion de sujet devient à son tour le lieu d'une théorie des passions (comme la colère ou l'avarice). Enfin, les passions supposant une théorie des valeurs, Greimas consacre ses dernières années à des réflexions sur l'éthique et l'esthétique. Ainsi, la théorie linguistique présentée dans Sémantique structurale s'est muée en philosophie de la signification, puis en philosophie du sujet sémiotique. D'où, par exemple, le long dialogue de Greimas et de Paul Ricœur. La pensée de Greimas a fourni le cadre conceptuel de multiples recherches conduites dans des domaines fort divers : études littéraires, exégèse, sémiotique juridique, communication publicitaire,[...]
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Écrit par
- François RASTIER : directeur de recherche au C.N.R.S.
Classification
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