ALLEMANDES (LANGUE ET LITTÉRATURES) Littératures
De nouveaux regards sur le monde
À la fin de la première décennie du xxie siècle, des voies nouvelles semblent se dessiner dans l'ensemble des littératures de langue allemande. Elles se font l'écho des grandes interrogations du moment, sans que ces questions soient toutefois les thèmes dominants. Citons d'abord la voie empruntée par Peter Kurzek (1943-2013), un des écrivains les plus atypiques, qui avance l'hypothèse que la littérature se « fabrique » dans l'oralité, ce qu'il montre avec un CD, Unerwartet Marseille (2012, Inattendu, Marseille). Kurzeck s'y exprime spontanément, sans thème défini, dans un récit mémoriel procédant par associations (Mein Bahnhofsviertel, 1991 ; Un été sans fin, 2013 ; ÜbersEis, 1997 ; Un hiver de neige, 2018 ; Vorabend, La veille au soir, 2011 ; Als Gast, 2003 ; En invité, 2023).
L'irruption des nouveaux médias et technologies, l'impact des nouvelles formes de communication sont le sujet ou le cadre de romans, récits et nouvelles : Matthias Zschokke (né à Berne en 1954) utilise, dans son roman Lieber Niels (Cher Niels, 2011), la forme d'écriture induite par les mails. Ingo Schulze consacre une nouvelle au portable (Handy, 2007). Dans un bref roman à l'humour décapant, Das warichnicht (2010 ; C'était pas ma faute, 2011), Kristof Magnusson évoque la bulle financière, l'irresponsabilité des traders et la perversion des valeurs morales traditionnelles de nos sociétés, de même qu'Ernst- Wilhelm Händler (né en 1953 ; Wennwirsterben, Quand nous mourons, 2002) et Terezia Mora (née en 1971 ; Alle Tage, Tous les jours, 2004).
La maladie – d'Alzheimer chez Arno Geiger ou l'AVC chez Kathrin Schmidt (née en 1958 ; Du stirbstnicht, Tu ne mourras pas, 2009) –, le délitement des structures de soin – chez Kristof Magnusson (Arztroman, 2014 ; Urgences et sentiments, 2018) –, le vieillissement et la mort sont omniprésents. DansDie WeltimRücken(2016 ;Le Monde dans le dos, 2021), un récit à la fois autobiographique et documentaire, Thomas Melle (né en 1975) retrace les phases de sa bipolarité. Si, chez Judith Hermann (née en 1970 ; Alice, 2009, trad. franç. 2012), les cinq nouvelles du volume s'articulent autour du moment précis où cesse la vie, chez Urs Widmer (1938-2014 ; Herr Adamson, Monsieur Adamson, 2006) et Sybille Lewitscharoff (1954-2023 ; Consummatus, 2006), la mort est rarement évoquée dans sa dimension tragique, mais comme avatar inéluctable de la vie qui ne nie pas son dynamisme fondamental. Yoko Tawada interroge la catastrophe. Fukushima, dit-elle, s'écrit désormais au côté d'Hiroshima. La catastrophe est le symbole de la relation problématique du Japon avec son insularité et l'altérité occidentale (Journal des jours tremblants, 2012, issu du recueil FremdeWasser ; Sendbo-o-te, Messagers, 2018).
Parallèlement à cet ensemble d'œuvres qui ouvrent une réflexion sur des problèmes contemporains, on constate le retour en force de sujets empruntés à l'histoire et au passé, en général, que ce soit dans des romans historiques, des romans noirs ou des romans policiers. En ce sens, Daniel Kehlmann, avec Les Arpenteurs du monde, semble avoir ouvert la voie à des romans ou récits qui, tout en empruntant à l'histoire mondiale des situations ou des personnages, ne cherchent ni la vérité historique ni une nouvelle lecture de celle-ci, mais plutôt une mise en abyme du passé qui permette de mieux comprendre le présent, comme chez Thomas von Steinaecker (né en 1977 ; Wallnerbeginntzufliegen, Wallner commence à voler, 2007 ; Schutzgebiet, Réserve, 2009) ou chez Robert Menasse (né en 1954 à Vienne). Dans Vertreibungaus der Hölle (2001 ; Chassés de l'enfer, 2006), celui-ci établit un parallèle entre l'expulsion et la persécution des juifs dans le Portugal du xviie siècle et la[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Nicole BARY
: directrice de l'association
Les Amis du roi des Aulnes , traductrice - Claude DAVID : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne
- Claude LECOUTEUX : professeur de langues et littératures allemandes et germaniques à l'université de Caen
- Étienne MAZINGUE : ancien élève de l'École normale supérieure de la rue d'Ulm, docteur ès lettres, professeur à l'université de Paris-Sorbonne
- Claude PORCELL : ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé d'allemand, maître de conférences de littérature allemande à l'université de Paris-Sorbonne
Classification
Médias
Autres références
-
NÉO-CLASSICISME (littérature)
- Écrit par François TRÉMOLIÈRES
- 1 007 mots
Il semble aller de soi que le néo-classicisme se définit par rapport au classicisme. Or, au moins en littérature, ce dernier est une notion étroite, d'ailleurs problématique : elle ne vaudrait que pour la France, et durant une courte période (les années 1660-1680). Faut-il en déduire qu'il n'y aurait...