Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

BERTRAND ALOYSIUS (1807-1841)

Brunetto Latini opposait « la voie de la prose, large et pleinière si comme est ore la parleure des gens » et « li sentiers de rime, plus estroiz et plus fors ». Pourtant, la phrase française connut, au Moyen Âge, sa période gothique, dont Aloysius Bertrand a tenté de retrouver le secret. Il n'est pas l'inventeur de la prose poétique, qui n'a cessé de briller en France, même quand la poésie devenait prosaïque. Les traductions des chants populaires grecs ou dalmates, certaines pages d'Alphonse Rabbe donnent, immédiatement avant lui, le signal d'un engouement prochain pour le « petit poème en prose ». Gaspard de la nuit n'est donc pas vraiment une date, comme l'affirma Breton. Mais ni la tentative de Baudelaire pour en appliquer le procédé à la description de la vie moderne, ni l'éblouissant commentaire pianistique de Maurice Ravel ne doivent en faire oublier la séduisante, l'émouvante originalité.

Le poète souffreteux

Natif du Piémont, Louis-Jacques Bertrand aurait pu célébrer le souvenir glorieux de la campagne d'Italie et prendre pour pseudonyme son troisième prénom, Napoléon. Il lui préféra celui d'Aloysius – surgi de quel mystérieux grimoire ? – et chérit Dijon, avec ses hôtels embastillés, la procession de ses clochers et les bannières de ses vitraux, « comme le poète la jouvencelle qui a initié son cœur ».

Perdu dans la « moisson profonde du peuple », il était voué à l'existence d'un pauvre poète souffreteux. On l'encouragea quand il vint, en 1828, se réchauffer au foyer de l'Arsenal, pour des pochades de mirliton :

Ces moines ont-ils quelque puce À l'oreille ou bien au prépuce, Qui, le rire d'enfer aux dents, Au fond de leur sale capuce Roulent du bouc les yeux ardents ?

Mais, quand au projet des « Bambochades romantiques » se furent substituées les proses plus rares de Gaspard de la nuit, il ne fut guère écouté, et le manuscrit se couvrit de poussière dans l'arrière-boutique d'un éditeur. La phtisie consuma l'auteur avant que ne parût le livre, aussitôt oublié jusqu'au xxe siècle, malgré Sainte-Beuve le préfacier et Baudelaire l'admirateur.

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur émérite de littérature comparée à l'université de Paris-Sorbonne, membre de l'Académie des sciences morales et politiques

Classification

Autres références

  • POÈME EN PROSE

    • Écrit par
    • 1 013 mots

    La frontière qui sépare la poésie de la prose n'est guère indiscutable qu'aux yeux de ceux qui réduisent la poésie à la seule versification. Pourtant, cette frontière — son tracé ou bien son existence même — n'a jamais cessé d'être contestée de toutes parts, à toutes les époques....