ALPHABÉTISATION
L' alphabétisation constitue de nos jours une préoccupation mondiale. Elle est considérée comme un facteur majeur de développement, un enjeu économique et un droit humain. Les savoirs dits « de base » : savoir lire, écrire et compter, sont reconnus par tous les États comme étant des biens aussi indispensables que la santé. Face à ce consensus international, il est nécessaire de prendre du recul et de s'interroger sur le caractère historique de telles prises de position : en a-t-il été toujours ainsi ? Est-il légitime, et depuis quand, de promouvoir au niveau mondial un certain modèle, celui du lettré, alors que de nombreuses sociétés sont des sociétés à culture essentiellement orale ? Comment définit-on aujourd'hui l' analphabétisme ? Un autre volet de cette réflexion critique questionne les données : que nous apprennent les statistiques sur l'analphabétisme ? Comment sont-elles produites ? Sont-elles fiables ? Sur quel autre type de données s'appuyer ?
Enfin, il importe d'évoquer des aspects plus techniques du phénomène de l'alphabétisation : quelles démarches adopte-t-on aujourd'hui dans ce domaine ? Quelles sont les difficultés rencontrées dans les sociétés de tradition orale comme dans celles de tradition écrite ? En quoi l'alphabétisation est-elle liée à la politique linguistique des États ? Toutes ces questions renvoient aux incertitudes qui animent aujourd'hui nombre de chercheurs et de praticiens conscients de la complexité du processus d'alphabétisation universelle engagé depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Deux modèles d'alphabétisation
L'alphabétisation de longue durée
Lire et écrire ont longtemps été des savoir-faire réservés à des professionnels. Les premières civilisations de l'écrit, celles de la Mésopotamie, de l'Égypte ou de la Chine, confient à une caste puissante de scribes le soin de l'élaboration, tant matérielle qu'intellectuelle, des documents écrits. L'Antiquité gréco-romaine, qui voit l'expansion de l'écriture alphabétique, va imposer une nouvelle figure de scribe, celle de l'esclave lecteur et surtout scripteur. Les tâches physiques – orales et manuelles – sont alors dissociées des savoirs intellectuels du lettré. La nécessité d'une alphabétisation des populations est tout à fait étrangère à la mentalité antique, et l'on peut considérer que le haut Moyen Âge héritera de cette indifférence. Ce sont alors les clercs, moines copistes ou grands prélats, qui sont les seuls « lettrés », les litterati opposés à la masse des illiterati, c'est-à-dire qu'ils connaissent le latin, unique langue de l'écrit. C'est à partir du xiiie siècle, dans le contexte des profondes mutations économiques, politiques et culturelles que connaît l'Occident médiéval, que la culture écrite va se transformer et devenir celle des laïcs aussi bien que celle des religieux. Une alphabétisation restreinte, limitée à certains savoir-faire fonctionnels et qui combine sans doute apprentissage sur le tas et recours occasionnel à des maîtres, se met en place ; c'est, par exemple, le cas des marchands. En France, l'écriture de la langue française et l'invention de l'imprimerie vont rendre définitive la sécularisation de la culture écrite. C'est autour des xvie et xviie siècles qu'une demande d'école, émanant des communautés urbaines et parfois rurales, s'affirme. Dès lors, l'histoire de l'alphabétisation se mêle à celle de la scolarisation. Mais c'est à partir de 1833 seulement, lorsque l'État prend en charge la scolarisation, que l'alphabétisation va s'accélérer et devenir « sans retour ». Le xixe siècle verra l'achèvement du processus, sans qu'il soit possible toutefois d'atteindre[...]
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Écrit par
- Béatrice FRAENKEL : directrice d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (E.H.E.S.S.)
- Léon GANI : professeur des Universités en démographie, faculté des sciences humaines et sociales, université de Paris-V-Sorbonne
- Aïssatou MBODJ : agrégée de l'Université, A.T.E.R. à l'École des hautes études en sciences sociales
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