ALPHABÉTISATION
Alphabétisation, langues et cultures
L'importance de la langue maternelle
Un certain consensus existe aujourd'hui sur l'efficacité accrue d'une alphabétisation en langue maternelle. Il semble légitime de privilégier la langue maternelle d'un adulte qui désire s'alphabétiser. L'effort à fournir serait limité, l'apprenant maîtrisant déjà la langue orale. En revanche, alphabétiser dans une langue « étrangère » revient à obliger l'apprenant à fournir un double effort : acquérir les mécanismes de la lecture et de l'écriture, mais aussi apprendre une nouvelle langue. Un deuxième argument en faveur de l'alphabétisation en langue maternelle met en avant le souci de préserver et d'affermir l'identité culturelle. De ce point de vue, les situations doivent être distinguées selon que la langue maternelle possède une forme écrite plus ou moins ancienne. Depuis le début du xxe siècle, des efforts importants ont été fournis pour doter des langues essentiellement orales d'une forme écrite. Les systèmes de transcription sont l'œuvre de chercheurs, de militants, voire d'enseignants qui désirent faciliter l'alphabétisation des apprenants dans leur langue maternelle. En l'absence de système d'écriture répandu, la transcription s'opère souvent en recourant à l'alphabet latin. Parfois des formes concurrentes existent, utilisant l'alphabet arabe ou encore des écritures locales. L'édition dans ces langues récemment transcrites est souvent restreinte. Mais elles permettent au moins des échanges de correspondance et les documents manuscrits peuvent être des supports de lecture. Dans ce cas, un troisième argument souligne les effets conservatoires d'une telle option. En devenant « langue d'alphabétisation » dotée d'un système d'écriture, une langue orale serait mieux armée pour résister aux menaces de disparition qui peuvent peser sur elle. Et, en préservant la langue, on maintient également la culture d'un groupe ou d'un peuple. Tous ces arguments méritent examen.
Si l'on se penche sur la question du handicap que représenterait l'obligation d'apprendre à lire et à écrire dans une langue autre que sa langue maternelle, on peut évoquer le cas de la France, qui a l'avantage d'être bien étudié. L'existence d'une langue régionale (le breton, le basque, l'alsacien, le corse, etc.), langue maternelle d'un bon nombre de Français pendant des siècles, n'a pas impliqué systématiquement un retard d'alphabétisation si l'on en croit les travaux des historiens. Lorsque tel est le cas, en Bretagne par exemple, il s'y ajoute la prépondérance d'une culture orale et la pauvreté. À l'opposé, de nombreux cantons flamingants sont en tête des alphabétisés dans le département du Nord dès le xviiie siècle, mais il s'agit de cantons riches et le flamand est une langue écrite. Par conséquent, être alphabétisé dans une langue autre que sa langue maternelle n'est pas en soi suffisant pour créer une difficulté, mais ce peut être un facteur aggravant qui s'ajoute à d'autres.
Dans les pays en développement, la tendance actuelle est à introduire les langues maternelles pour les premiers apprentissages, tant dans l'alphabétisation pour adultes que dans la scolarisation. En cela, ces pays rejoignent la position de l'U.N.E.S.C.O. qui, dès 1953, promouvait l'usage des langues « vernaculaires » dans l'éducation. Les évaluations de ce type d'apprentissage sont en général positives, même si des difficultés d'ordre divers apparaissent. Tout d'abord, sur un plan pédagogique, l'enseignement bilingue, où une deuxième langue est rapidement introduite (souvent dans le courant du cycle primaire) pose des problèmes spécifiques. Ce type d'enseignement suppose des maîtres[...]
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Écrit par
- Béatrice FRAENKEL : directrice d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (E.H.E.S.S.)
- Léon GANI : professeur des Universités en démographie, faculté des sciences humaines et sociales, université de Paris-V-Sorbonne
- Aïssatou MBODJ : agrégée de l'Université, A.T.E.R. à l'École des hautes études en sciences sociales
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