ALPHABÉTISATION
L'illettrisme, préoccupation nouvelle des pays industrialisés
Si l'analphabétisme demeure une caractéristique des pays en développement, les pays industrialisés ont pris conscience, depuis le début des années 1980, que l'alphabétisation n'était pas réellement achevée chez eux, comme certains le pensaient. Les pays de l'Union européenne présentent des situations fort diverses. Les États du Sud tels que la Grèce, le Portugal, l'Espagne et l'Italie n'ont vu que récemment la généralisation de l'école primaire obligatoire. Un nombre important d'adultes étaient encore analphabètes il y a quelques décennies, et ces pays n'ont jamais nié l'existence du problème, même s'ils ont eu tendance à le sous-estimer. Les pays du nord de l'Europe qui pensaient que ce problème était définitivement résolu ont été plus lents à en prendre conscience. Ce sont souvent les associations d'alphabétisation des travailleurs migrants qui ont alerté les pouvoirs publics sur l'existence, chez leurs nationaux, de problèmes d'illettrisme. Actuellement, il existe, dans la majorité des pays européens, des instances qui ont pour mission de traiter l'illettrisme des adultes, étant entendu que ces adultes ont été, pour la plupart, à l'école. Il ne s'agit donc pas de les alphabétiser mais de les amener à une meilleure maîtrise de la lecture, de l'écriture et du calcul. Dans les pays favorisés de l'Europe, les personnes touchées par l'illettrisme présentent des caractéristiques communes : une sur trois a souffert d'une manière ou d'une autre de la pauvreté, deux sur trois sont issues de familles qui comptent plus de quatre enfants, toutes sont issues du milieu ouvrier ou de la petite paysannerie. Du point de vue scolaire, la moitié d'entre elles n'a pas terminé l'école primaire, et les deux tiers n'ont pas obtenu le certificat d'études. Dans la société moderne, l'illettrisme persiste : de nombreux jeunes gens issus de milieux défavorisés dont un ou les deux parents sont illettrés sont confrontés à l'échec scolaire. Il ne s'agit donc pas seulement de « persistance » mais bien de « reproduction » du phénomène.
L'illettrisme est considéré dans les pays de l'Union européenne comme un facteur majeur d'exclusion sociale comparable au chômage et à la pauvreté, les trois facteurs étant souvent en interaction. L'émergence du problème n'est pas fortuite. C'est sur un fond de crise économique, de mutations industrielles et de risques accrus d'exclusion d'un nombre important de salariés de l'appareil de production et de formation que l'illettrisme a été pris en compte. Savoir lire et écrire ne suffit plus à trouver un emploi, et l'analphabétisme fonctionnel compromet l'insertion ou la réinsertion des jeunes à la recherche d'un travail.
On peut s'interroger sur la légitimité d'une sélection fondée sur la maîtrise de compétences lettrées. Qu'en est-il vraiment des nouveaux besoins en matière de lecture, d'écriture et de calcul dans le monde du travail ? Les sociologues ont constaté l'importance nouvelle des pratiques de symbolisation, écrites comme orales, dans la réalisation du travail. La lecture d'écrans par exemple, la rédaction de messages font désormais partie de l'univers des adultes faiblement qualifiés. Ceux-ci doivent souvent se reconvertir, s'insérer dans un appareil de formation qui suppose des comportements d'apprentissage scolaire oubliés depuis longtemps. Il leur faut également s'adapter à de nouveaux modes de management fondés sur la participation. Des pratiques langagières axées sur l'expression individuelle, l'interaction, le consensus, bref une certaine sociabilité langagière en rupture avec les formes autoritaires qui prévalaient jusque-là dans[...]
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Écrit par
- Béatrice FRAENKEL : directrice d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (E.H.E.S.S.)
- Léon GANI : professeur des Universités en démographie, faculté des sciences humaines et sociales, université de Paris-V-Sorbonne
- Aïssatou MBODJ : agrégée de l'Université, A.T.E.R. à l'École des hautes études en sciences sociales
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