LAMARTINE ALPHONSE DE (1790-1869)
Un gêneur pour les gens de bien
Que le vrai problème posé en 1830 est d'ordre social, et non pas politique seulement, Lamartine l'a vu, l'un des premiers. Il le dira dès le début de son action : « la question des prolétaires » est la grande question du xixe siècle. Et tout son effort, dans un premier temps, sera de convaincre les gens de sa classe, les possédants : la sagesse, le bon sens, leur salut même réclament, de leur part, une refonte des structures sociales pour arracher à leur condition inhumaine la multitude des travailleurs. La « compression », s'ils ne l'atténuent, aboutira à l'« explosion ».
Le 28 décembre 1841, Lamartine tente une expérience, recourt à un test. Il se présente à la présidence de la Chambre (un président de la Chambre n'est pas un homme du gouvernement) pour dénombrer ceux qui lui font confiance. Sur 309 votants, il ne réunit que 64 voix, contre Sauzet, candidat conservateur également, mais rassurant, partisan de l'immobilisme, et qui n'importune personne en jouant les Cassandre. Ajoutons que le député Lamartine s'est permis, sur les « concentrations économiques », c'est-à-dire ce qu'on appelle aujourd'hui les trusts, dans son discours du 9 mai 1838, des propos malséants.
Alors il renverse son jeu. Les possédants ne veulent pas modifier eux-mêmes leur conduite suicidaire ? Très bien ; on les y contraindra ; et, allant beaucoup plus loin que l'opposition « dynastique » et, pour rire, d'un Odilon Barrot, Lamartine passe à l'extrême gauche et aux idées républicaines. Il est bien déterminé à rester en marge du régime, à refuser tout portefeuille et toute ambassade (Guizot, qui se méprend sur lui, lui offre l'ambassade à Londres, pour l'éloigner) ; il veut être « l'homme de réserve » pour l'heure du drame, inévitable. Il empêchera l'anarchie, qui serait mortelle, et contiendra les « enragés » (il n'a jamais étudié le socialisme et condamne, sans le connaître, le programme de Louis Blanc) ; mais il veut la république, le suffrage universel et des lois qui protégeront la collectivité contre les dévorants. La révolution éclate le 24 février 1848. Lamartine forme en hâte un gouvernement provisoire qui proclame la république. La classe ouvrière, en armes, fait preuve d'une docilité exemplaire, assurant elle-même la protection des hôtels particuliers et des banques. Aux élections générales (23 avril), Lamartine est élu par dix départements et totalise près de deux millions de voix. Mais le suffrage universel, dans cette France rurale et plus qu'à moitié analphabète, a été manœuvré sans peine par les « gens de bien », châtelains, notaires, gros négociants qui, souvent, ont conduit eux-mêmes « les manants » au vote, en rangs et marchant au pas. Les notables ont tous crié avec ardeur : « Vive la République », alors qu'ils veulent au plus tôt la détruire, cette république dont ils ont horreur. L'Assemblée nationale est peuplée de bourgeois terrifiés et qui n'ont qu'un souci : revenir, revenir bien vite à l'ordre ancien et « providentiel » où les « mangeurs » peuvent se repaître à l'aise des « mangés ».
Si la masse voit en Lamartine – et elle a raison – un homme de bonne volonté, les notables, en revanche, le prennent pour un simple ambitieux, mais de leur classe, un imposteur habile qui, grâce à sa rhétorique, leur a épargné le pire, muant en chat ronronnant le « tigre populaire », et tout occupé à leur donner le temps de se reprendre, de reconstituer la police et l'armée, et de ramener, le jour venu, la canaille au chenil par des moyens appropriés. La droite croit Lamartine masqué et s'aperçoit soudain qu'elle se trompe. Il ose demander l'abolition du remplacement militaire, la surveillance des trusts, la nationalisation[...]
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Écrit par
- Henri GUILLEMIN : ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé et docteur ès lettres, ancien professeur aux universités du Caire, de Bordeaux, de Lyon et de Genève
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