LAMARTINE ALPHONSE DE (1790-1869)
« Mon âme a son secret »
Des questions restent posées, concernant cet homme mal connu. On a beaucoup parlé de ses « amours », mais en restant sur le plan de l'anecdote. Une jeunesse oisive et désordonnée ; bien des liaisons, dont une, à vingt et un ans, à Naples, avec une employée de la Manufacture des tabacs, cette Antoniella que, trente ans plus tard, il déguisera en « corailleuse », et baptisera Graziella (elle lui avait laissé un souvenir teinté de remords) ; un attachement – Mme Julie Charles – brisé par la mort, mais auquel se mêlaient aussi des considérations d'avancement ; une passion, deux ans plus tard (1819), plus sexuelle, semble-t-il, que sentimentale, pour la femme d'un officier qui tenait garnison à Mâcon, l'Italienne Lena de Larche. Lorsque Lamartine se marie à trente ans, il le fait dans des dispositions graves. Il semble bien qu'il n'eut, dès lors, jamais plus de maîtresses. Privé, à quarante-deux ans, de ses deux enfants, et n'ayant auprès de lui qu'une femme rapidement vieillie, et sans beauté, il s'applique à reporter sur la collectivité humaine – comme son Jocelyn – les puissances d'amour qui sont en lui. Ce n'est pas pour rien qu'il fera dire à son « tailleur de pierres de Saint-Point » : les autres, « il me semble qu'ils sont un morceau de ma chair, et que je suis un morceau de la leur ; c'est cela, je crois, qu'on appelle l'amour ». Ces choses-là paraissent littéraires, et sans doute pensera-t-on que se construit ici un Lamartine de fantaisie, comme il est d'usage, par exemple, dans les discours de cimetière. Le cas particulier de Lamartine est que cette image mal croyable est conforme à la vérité. Un individu hors série. Accordons que son « tempérament », jadis vorace, s'était beaucoup amorti dès la fin de son adolescence, mais il semble qu'on puisse affirmer qu'il avait réellement accompli ce miracle de substituer en lui, « à une tentation, une tentation plus grande ». À la place des délices du cœur et de la chair, la volonté ardente, le besoin, oui, de servir les hommes, tous les hommes.
On dirait d'un mystique, ou du moins d'un croyant, aux certitudes viscérales. Or, il passe son temps à douter. Il a rompu, vers ses dix-huit ans, avec la foi de son enfance, pour passer au rationalisme. Il est revenu à cette foi, au moment de son mariage, par un coup de force intérieur. Mais c'est dans un malaise croissant qu'il s'efforce d'être « bon catholique ». S'il se rend, en 1832, en Terre sainte, c'est beaucoup – sans le dire – pour tenter de retrouver, sur ce sol « qui a germé le Christ », une ferveur déjà presque éteinte. Et c'est précisément en Terre sainte, et sous les murs mêmes de Jérusalem, que, le 25 octobre 1832, il commence ces vers qu'il terminera seulement un quart de siècle plus tard, sur « l'immatérialité de Dieu », et dont la signification première et immédiate est celle-ci : inconcevable, une incarnation de la divinité ; le Christ n'était qu'un homme. S'abat sur lui, quelques semaines plus tard (le 7 décembre), la mort de sa petite Julia : cassure définitive entre lui et la « mythologie » chrétienne ; dans les fables seulement les enfants ressuscitent. En même temps, toute la politique de Lamartine dérive d'une arrière-pensée religieuse, comme chez Jean-Jacques Rousseau, comme chez Robespierre, comme chez Jaurès. « Si Dieu n'est pas au terme du chemin, à quoi bon marcher ? » Ces mots sont du 21 novembre 1841. Sa grande bataille temporelle, déclenchée le 18 juillet 1847, dans ce discours de Mâcon où il annonça « la révolution du mépris », il l'appelle, tout bas, « la bataille de Dieu ». Rien n'est moins sûr, pourtant, à ses yeux, que l'existence d'un Dieu d'amour. Il avait voulu employer sa vie à bien agir ; il avait écarté, à plusieurs reprises (et à Florence notamment, en 1827-1828), des tentations reparues. Et « Dieu[...]
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Écrit par
- Henri GUILLEMIN : ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé et docteur ès lettres, ancien professeur aux universités du Caire, de Bordeaux, de Lyon et de Genève
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