ESQUIROS ALPHONSE (1812 ou 1814-1876)
Le poète romantique et écrivain socialiste Alphonse Esquiros n'est pas, comme il le prétend, un enfant du peuple ; il est issu d'une famille de chirurgiens et de négociants. Il reçoit au petit séminaire de Saint-Nicolas une éducation religieuse qui le marquera fortement. Admirateur passionné de Victor Hugo, il fréquentera de façon intermittente le Petit Cénacle, qui réunit autour de Pétrus Borel les plus célèbres des Jeune-France. Un recueil poétique, Les Hirondelles (1834), où Esquiros développe en préface son rêve d'une République des lettres, est favorablement accueilli par la critique malgré le petit nombre d'exemplaires vendus. Message d'espérance, ces pièces d'inspiration nettement panthéiste s'efforcent de préserver le fragile équilibre qui hanta la pensée romantique, entre bonheur individuel, idéal socialiste et mystique chrétienne. De 1834 à 1837, des articles donnés à la France littéraire et à La Presse, où Victor Hugo le fait entrer comme spécialiste des sciences occultes, rendent compte des activités multiples de l'écrivain : il fréquente les salons littéraires, les théâtres, les cours de la Sorbonne, les soirées et les bals de l'impasse du Doyenné, où Camille Rogier accueille dandys, artistes et demoiselles d'opéra. Cette période agitée et un peu déréglée engendre un roman philosophique, Le Magicien (1837), traduisant ses angoisses et ses incertitudes : soif d'absolu, tentations de la science et de la beauté idéale qui se soldent par la mort ou le suicide des héros, espérance finale de rédemption par l'amour de la femme.
Esquiros collabore au recueil des Belles Femmes de Paris (et de province), d'inspiration galante, publie une Charlotte Corday (1840) où une documentation historique extrêmement soignée n'empêche ni l'élément romanesque ni une philosophie mi-chrétienne mi-révolutionnaire par laquelle l'auteur tente de surmonter ses contradictions. À cet ouvrage, très bien accueilli, succède la première partie d'une trilogie, Les Vierges folles, pamphlet déclamatoire en faveur des prostituées. Marchant sur les traces de Lamennais, il fait paraître enfin L'Évangile du peuple, interprétation des textes sacrés à la lumière du socialisme ; le livre est saisi et vaut à son auteur cinq cents francs d'amende et un emprisonnement de huit mois pendant lequel il écrira un très beau recueil de poèmes, Les Chants d'un prisonnier (1841), hymne à la nature par lequel il tente de tromper sa solitude et les souffrances de la réclusion. Mais au sortir de prison, ses convictions politiques se trouvent raffermies ; il entre avec David d'Angers et Louis Blanc au Journal du peuple tout en continuant à s'intéresser à la condition féminine et en donnant les suites de sa trilogie, Les Vierges sages et Les Vierges martyres. Buloz, dont il restera jusqu'à la fin de sa vie le collaborateur fidèle, lui ouvre La Revue des Deux Mondes et Houssaye l'accueille à L'Artiste.
En 1847, il publie Les Montagnards, ouvrage d'un très grand sérieux historique, mais dont le style fortement oratoire et les envolées lyriques témoignent d'un romantisme quelque peu échevelé. Il se marie avec l'institutrice Adèle Battanchon, poétesse et socialiste, et entreprend avec elle la publication d'une fresque des Amants célèbres, que viennent interrompre les événements de février 1848. Esquiros se lance dans la lutte, fonde des revues révolutionnaires, parle dans les clubs, qui refusent d'ailleurs de l'inscrire sur la liste de leurs candidats (en désespoir de cause, il tentera de représenter la France sous les traits d'une sourde-muette). Au moment des massacres de juin, il prend peur et se réfugie en Angleterre, puis rentre se présenter devant les conseils de guerre qui l'acquittent. En 1850, il est élu représentant de Saône-et-Loire[...]
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Écrit par
- France CANH-GRUYER : diplômée d'études supérieures de littérature française
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